CP 05635/en

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Marcel Proust à Berthe Lemarié [le 20 ou 21 avril 1918]

(Click on the link above to see this letter and its notes in the Corr-Proust digital edition, including all relevant hyperlinks.)

[1]

Chère Madame

Pour éviter des pertes de temps je vous envoie les 244 premières pages en épreuves (sans distinction de placards, deuxièmes, troisièmes) de « À l’ombre des jeunes filles en fleurs »[2]. Les pages 245 et suivantes (qui forment je crois l’épisode de M. de Charlus), je ne les ai pas, j’attends que l’éditeur[3] me les renvoie, dès que je les aurai ainsi que la fin du « Cahier violet » (lequel est tout simplement la fin de À l’ombre des jeunes filles en fleurs) je vous enverrai, également sans distinction de placards etc., tout ce qui va de la page 244 à la fin du volume[4].

Permettez-moi si je ne vous ennuie pas trop de vous dire quelles choses inouïes se produisent dans cette édition[5] :

D’abord il y a toute une grande page des feuillets manuscrits si remarquablement reconstitués par votre dactylographe, qui a été entièrement sautée, c’est-à-dire n’a jamais été imprimée ! Pour ne pas en demander d’épreuves à part, je vous l’enverrai en manuscrit à sa place au milieu des épreuves du cahier violet. Mais enfin cela fait au moins dix pages d’épreuves de sautées[6] ! Nous n’en sommes plus aux phrases et aux mots sautés !

Malheureusement nous en sommes aussi aux phrases et aux mots sautés, etc. Au point de vue de la fatigue de mes yeux je ne peux vous dire quel surcroît de travail cela me donne de ne pas pouvoir me fier un instant à l’épreuve. Je le fais cependant d’où des erreurs. Mais voici qui est plus curieux et que je vous dis tout à fait en confidence. J’avais cru jusqu’ici que les typographes chargés de ce travail étaient assez ignorants et péchaient constamment par là (je pourrais citer cent exemples) ; quel n’a pas été mon étonnement dans les dernières épreuves de voir que le mot « gluant » avait été remplacé par le mot « visqueux ». Je trouve que c’est stupéfiant à la fois comme sans-gêne et comme culture. C’est par un pur hasard que, relisant une phrase qui allait assez couramment pour n’avoir pas besoin de me reporter au manuscrit de votre dactylographe, j’ai été surpris du mot « visqueux » que je ne croyais pas avoir mis. Comme c’est assez ancien, puisque ce sont des placards (donc d’un manuscrit que je n’avais pas relu depuis longtemps) j’ai voulu confronter le placard imprimé avec mon manuscrit reconstitué par votre dactylographe, celui-ci portait non « visqueux », mais « gluant »[7]. Ces riens vous donnent-ils une idée du tracas que me donne cette édition ? Hélas on a honte de parler de soi, de ses livres, de leur impression quand tant de gens souffrent. Puisque malgré votre apparence de jeune fille, vous avez un grand fils, je serais bien heureux de savoir si vous avez de bonnes nouvelles de lui, s’il n’est pas dans un point dangereux[8]. Nous tremblons tous pour les nôtres, et je pense de tout mon cœur à vous.

Gaston Gallimard revient-il ? On me dit que mon ami Guiche est revenu. Peut-être ont-ils pris le même bateau ? N’ayant pas été assez bien pour voir Guiche, je n’ai pu le savoir[9].

Veuillez agréer chère Madame mes hommages de plus respectueux attachement

Marcel Proust

[10] [11]

Notes

  1. Note 1
  2. Note 2
  3. Note 3
  4. Note 4
  5. Note 5
  6. Note 6
  7. Note 7
  8. Voir la réponse de Mme Lemarié (CP 04460 ; MP-GG, nº 57). Son fils est affecté à l'inspection de l’aviation depuis sa blessure. Il se prénomme Jean et a plus de vingt ans à la fin de 1918, comme l'écrit Proust à Gaston Gallimard le [7 novembre 1918] : « Mais les prodiges les moins croyables de la mythologie me semblent peu de choses à côté de ce fait qu'elle a un fils de plus de vingt ans, donc plus âgé qu'elle ne paraît » (CP 03626 ; Kolb, XVII, nº 186 ; MP-GG, nº 83 ; Lettres, nº 479). [CSz]
  9. Gallimard embarque à New York le 8 mai 1918 et arrive en France vers la mi-mai (CP 04458 et CP 04460 ; MP-GG, nº 52 et nº 57, note 2). Il n’a donc pas pris le même bateau que le duc de Guiche qui est en France depuis la fin d'avril : voir la lettre de Proust au duc de Guiche du [samedi soir 27 avril 1918] (CP 03522 ; Kolb, XVII, nº 82). [CSz]
  10. (Notes de traduction)
  11. (Contributeurs)