CP 05634

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Marcel Proust à Gaston Gallimard [entre le 12 et le 14 octobre 1917]

(Cliquez le lien ci-dessus pour consulter cette lettre et ses notes dans l’édition numérique Corr-Proust, avec tous les hyperliens pertinents.)

[1]

Cher ami

Voici la fin de mon manuscrit, plus les épreuves corrigées de 1 à 183. Elle se compose comme vous voyez d’un gros cahier, et d’un mince cahier. Le mince ayant été arraché d’un plus gros et recousu tant bien que mal, je le crois un peu fragile. Quant à l’état matériel (je ne parle d’ailleurs que de cela dans cette lettre) des pages de ces cahiers, je crois celles du mince beaucoup moins malades que celles du gros, lequel aura sans doute besoin des soins merveilleux de chartiste qu’a votre dactylographe[2]. Les épreuves corrigées vous sont portées avec le manuscrit[3]. Votre imprimeur lit mon écriture d’une façon confondante. En revanche quand il a à faire à l’imprimé de Grasset, il change, il saute des mots, des phrases. Les caractères ne seront pas aussi fins que sur les épreuves n’est-ce pas, car ce serait illisible. Je suis à vos ordres pour Grasset[4]. Néanmoins, étant donné que je suis en ce moment vis-à-vis de lui comme vous savez dans une position assez mal définie et qu'il ne cherche qu’un prétexte pour modifier, je crois qu’il vaudrait mieux ne pas lui en donner la facilité en me faisant écrire, et il me semble que sur ce point accessoire et qui va de soi, il est tout naturel que vous lui écriviez : « Devenu éditeur de M. Proust je désire, d’accord avec lui, vous racheter etc. »[5]. Il a d’ailleurs une grande considération pour la N.R.F. Je n’ai pas encore reçu de réponse de Montesquiou. Peut-être d’ailleurs votre ami est-il allé chez lui muni de ma lettre. S’il a été bien reçu dites-le moi, pour que je remercie Montesquiou. J’ai trouvé que votre nouvelle figure (rasée) vous seyait admirablement. Je vous aime sous tous les aspects mais celui-là m’a paru fort heureux. Cher ami, par discrétion, par manque de forces, par peur d’abuser des vôtres, je ne vous ai pas parlé dans cette lettre de la chose à laquelle je pense le plus, votre voyage (que j’ai appris tout récemment et par hasard[6]) et l’effet qu’il pourra avoir sur votre santé.

Quant à Grasset plus j’y pense, plus mon idée (à laquelle je suis tout prêt à renoncer) me semble avantageuse. Dès que vous allez être parti, je serai livré à ses sollicitations, et bien entendu je n’y cèderai pas. Mais en lui écrivant, vous éditeur, et éditeur respecté de lui, vous coupez les ponts. Je crois que ce serait mieux.

Bien affectueusement à vous cher ami,

Marcel Proust

Dernière minute : J’apprends que Madame Lemarié (du moins je suppose que c’est elle) est venue pendant que Céleste qui ne sort jamais, était allée chez sa belle-soeur rue Laffitte. Je ne peux vous dire ma tristesse, si c’était Madame Lemarié[7]. Je ne retarde pas l’expédition des épreuves que vous me faites dire « très pressées »[8] en prolongeant ce mot.

Il y a dans ces épreuves, il y aura dans les autres, certaines pages (pour les quatre volumes peut-être quatre ou cinq pages) dont je ne peux pas savoir avant d’avoir tout corrigé si elles n’émigreront pas dans une autre partie. D’une part dans un ouvrage aussi long, un morceau risque d’avoir été placé deux fois et comme mon livre n’est pas une Iliade, ces redites seraient inexcusables. D’autre part il y a une question d’équilibre que je n’ apercevrai qu’une fois l’ensemble vu. Mais je crois que ces transferts même s’ils se produisent n’entraîneront pas l’interchangement de plus de cinq ou six pages[9].

Je vous avais dit que dans mes épreuves corrigées il n’y avait qu’un bis, il y en a deux ou trois, et même un ter, le 152ter dont la petite déchirure ne signifie rien.

[10] [11]

Notes

  1. Cette lettre suit la lettre de Gallimard du 11 octobre 1917 (CP 05450 ; MP-GG, nº 37), et précède deux lettres de Gallimard datées du 15 octobre, l'une à Grasset (MP-GG, nº 38), l'autre à Proust (CP 05632 ; MP-GG, nº 39). Elle a donc dû être écrite entre le 12 et 14 octobre 1917. [CSz]
  2. Voir Francine Goujon, « Le manuscrit de À l’ombre des jeunes filles en fleurs : le “cahier violet” », Bulletin Marcel Proust, nº 49, 1999, p. 7-16. Cette description, qui correspond au futur « cahier violet », confirme l’hypothèse de F. Goujon selon laquelle le deuxième cahier, s’il existe vraiment, doit être « excessivement bref » (p. 11-12) : une liasse de pages arrachées et recousues. Mlle Rallet a pu simplement regrouper les deux parties dans une chemise ou une couverture de couleur violette pour préserver les pages mal en point et l’ordre du texte, jusqu’à la phase de découpage et de reconstitution en planches. Ce regroupement en une seule unité matérielle expliquerait le passage que note F. Goujon (p. 11) de deux cahiers en octobre 1917 à un seul cahier en avril-mai 1918. Proust mentionne à nouveau « les 2 cahiers que je vous ai envoyés », « les 2 cahiers sur Albertine que vous avez » dans sa lettre à Gallimard du [17 octobre 1917] (CP 04453 ; MP-GG, nº 41). [CSz]
  3. Voir Francine Goujon, « Les épreuves de À l’ombre des jeunes filles en fleurs : deux lettres à redater », Bulletin Marcel Proust, nº 48, 1998, p. 42-48. Les épreuves corrigées de 1 à 183 que Proust joint au manuscrit sont donc les premières épreuves, couvrant la partie sur Madame Swann (tableau récapitulatif, p. 47), et précèdent exactement le lot mentionné dans la lettre à Mme Lemarié (p. 184-277 des premières épreuves) que F. Goujon (ibid., p. 48) redate de [peu avant le 6 décembre 1917], (CP 03451; MP-GG, nº 53). La dactylographe a donc dû livrer les pages 184 à 277 des premières épreuves en même temps qu’elle emportait « la fin du manuscrit » et les épreuves corrigées des pages 1-183 (CP 05632; MP-GG, nº 39). [CSz]
  4. Voir la lettre de Gallimard à Proust du 11 octobre 1917 (CP 05450; MP-GG, nº 37). [CSz]
  5. Voir la lettre de Gallimard à Grasset du 15 octobre 1917 (MP-GG, lettre 38). [CSz]
  6. Gallimard s'apprête à partir aux États-Unis avec Jacques Copeau et la troupe du Vieux-Colombier. Il embarquera le 31 octobre 1917 sur le paquebot Chicago. [CSz]
  7. Voir la lettre de Gallimard à Proust du 15 octobre 1917 (CP 05632 ; MP-GG, nº 39). C’est en fait la dactylographe, Mlle Rallet, qui avait fait la course. [CSz]
  8. Voir la lettre de Gallimard à Proust du 11 octobre 1917 (CP 05450 ; MP-GG, lettre n° 37). [CSz]
  9. Cinq ou six pages qui deviennent trente pages de « déchets » dans la lettre suivante lorsque Gallimard s’inquiète de l’épaisseur du deuxième volume à la réception de la fin du manuscrit (CP 04453; Kolb, XIX, nº 416). [CSz]
  10. (Notes de traduction)
  11. (Contributeurs)