CP 03988: Difference between revisions

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Marcel Proust à André Chaumeix [peu après le 12 décembre 1919]

(Cliquez le lien ci-dessus pour consulter cette lettre et ses notes dans l’édition numérique Corr-Proust, avec tous les hyperliens pertinents.)

[1]

44 rue Hamelin

Cher Monsieur

Je reçois à l'instant votre lettre[2] et je vous en remercie mille fois. La mienne était je le vois le résultat d'une erreur. Je vous croyais directeur des Débats, ou rédacteur en chef et je pensais qu'ainsi vous pouviez faire faire un article. Mais jamais, même quand je le croyais, il n'était entré dans ma pensée de vous demander d'influencer M. de Pierrefeu[3] dans un sens ou dans un autre. J'ai trop pour cela le respect de la pensée, et eussiez-vous le pouvoir de le faire, que j'eusse été chagriné que vous en usiez. Mon regret avait été simplement que vous n'eussiez pas demandé l'article à quelqu'un de favorable plutôt qu'hostile, surtout après les malentendus de presse nés du fait que ma maladie en m' empêchant de recevoir les journalistes, mes éditeurs en les recevant mal, les ont froissés, et que l'idée absurde que c'était un prix « politique » a tout compliqué. Je n'ai naturellement rien rectifié ni en ce qui concerne mon âge, ou ma situation de fortune, ou mes opinions politiques etc. Hélas vous n'êtes plus critique littéraire des Débats, et vous n'en êtes pas non plus directeur. Mais votre sympathie m'est plus précieuse que les articles que vous auriez pu dans le premier cas faire, dans le second cas faire faire sur moi. Pour en finir avec tout cela, si vous avez quelquefois l'occasion de causer avec M. de Pierrefeu, vous pourrez lui dire que le dernier chapitre de mon œuvre ayant été écrit avant le premier[4], et tout l'ouvrage étant fait et terminé, il n'a pas besoin d'attendre ma mort comme il dit pour voir finir à la Recherche du Temps Perdu[5] (titre détestable qui je le reconnais trompe sur la composition serrée de l'œuvre). Cette composition est si inflexible[6] que M. Francis Jammes m'ayant adjuré d'ôter de « Du Côté de chez Swann » un épisode qui le choquait[7], j'ai été sur le point de lui donner satisfaction, cet épisode étant en effet inutile dans le premier volume. Mais je me suis rendu compte que si je l'enlevais, le troisième et quatrième volumes étaient détruits puisque c'est le ressouvenir de cet épisode qui en excitant la jalousie du narrateur (celui qui dit je et qui n'est pas toujours moi[8]) amenait ce qu'on appelait au théâtre la péripétie[9]. Je renonce donc, les Débats n'ayant pas parlé de la Vie Heureuse[10], à toute rectification. Je vous enverrai quand il paraîtra mon article sur Flaubert[11], non pour que vous fassiez parler de lui, puisque vous n'avez pas aux Débats le genre de situation que je croyais, mais afin, si vous avez la bonté de le parcourir, de vous montrer que je fais plus attention aux questions de grammaire qu'on ne dit. Du reste de quel peintre n'a-t-on pas dit qu'il ne savait pas dessiner, de quel musicien qu'il ne savait pas l'harmonie.

Tout cela n'empêche pas que M. de Pierrefeu ait beaucoup de talent et il a bien raison de dire j'aime quand il aime, et je n'aime pas quand il n'aime pas.

Veuillez agréer cher Monsieur avec ma sympathie reconnaissante et profonde, l'expression de mes sentiments admiratifs et dévoués.

Marcel Proust

[12] [13]

Notes

  1. Cette lettre suit de peu la lettre au même destinataire du « vendredi soir » [12 décembre 1919] (CP 03983 ; Kolb, XVIII, nº 303). [PK]
  2. Lettre non retrouvée. [FP]
  3. Proust revient ici sur l'article de Jean de Pierrefeu, paru en première page du Journal des débats du 12 décembre 1919 : voir sa lettre CP 03983. [FP]
  4. Proust rapproche souvent dans sa correspondance avec les critiques les premier et dernier chapitres de son livre, pour insister sur le caractère médité et construit de son oeuvre. Parfois, comme ici, il place d'abord la rédaction de la fin : « Le dernier chapitre du dernier volume, non encore paru, a été écrit avant le premier chapitre du premier volume » (CP 04159 ; Kolb, XIX, n° 121, à Alberto Lumbroso, [le 14 mai 1920]) ; « On méconnaît trop en effet que mes livres sont une construction, mais à ouverture de compas assez étendue pour que la composition, rigoureuse et à qui j’ai tout sacrifié, soit assez longue à discerner. On ne pourra le nier quand la dernière page du Temps retrouvé (écrite avant le reste du livre) se refermera exactement sur la première de Swann » (CP 04877 ; Kolb, XXI, n° 16, à Benjamin Crémieux, [le 18 ou 19 janvier 1922]). Mais il lui arrive aussi d'écrire l'inverse, notamment en décembre 1919 : « […] le dernier chapitre du dernier volume a été écrit tout de suite après le premier chapitre du premier volume. Tout l’“entre-deux” a été écrit ensuite […] » (CP 03995 ; Kolb, XVIII, n° 315, à Paul Souday, [le 17 décembre 1919]) ; « le dernier chapitre du dernier volume, non paru, a été écrit tout de suite après le premier chapitre du premier volume » (CP 03999 ; Kolb, XVIII, n° 319, à Rosny aîné, [peu avant le 23 décembre 1919]). [NM]
  5. Paraphrase de l'article de Jean de Pierrefeu : « Depuis lors il a joint à ce premier livre [Du côté de chez Swann] un second qui le prolonge et il en prépare deux autres sur le même thème. Rien ne prouve qu'il s'arrêtera en si beau chemin. À mon avis, la fatigue ou la mort seules peuvent l'arrêter dans la tâche qu'il a entreprise de rechercher le temps perdu par lui […] ». [PK, FP]
  6. L'adjectif « inflexible » revient régulièrement sous la plume de Proust quand il veut décrire la composition ou la « construction » de son roman : voir, entre août et décembre 1919, ses lettres à Abel Hermant (CP 03897 ; Kolb, XVIII, n° 216), Jacques Boulenger (CP 03998 ; Kolb, XVIII, n° 318) et Rosny aîné (CP 03999 ; Kolb, XVIII, n° 319). [NM]
  7. La lettre que Jammes a adressée à Proust après avoir lu Du côté de chez Swann en novembre ou décembre 1913 n'a pas été retrouvée, mais Proust en cite un long passage dans une lettre à Henri Ghéon du [vendredi 2 janvier 1914] (CP 02655 ; Kolb, XIII, n° 3). Proust explique dans sa lettre à Paul Souday du 10 novembre 1919 (CP 03946 ; Kolb, XVIII, n° 266) que l'épisode en question est « une scène entre deux jeunes filles », c'est-à-dire la scène de sadisme de Montjouvain (RTP, I, 157-163). [PK, FP, NM]
  8. La formule, qui marque une inflexion importante par rapport aux propos publics de Proust lors de la sortie de Swann (« le personnage qui raconte, qui dit : "Je" […] n'est pas moi », EA, p. 558), est présente dans l'article sur Flaubert qu'il mentionne page suivante, et qu'il a remis quelques jours auparavant à Jacques Rivière pour la Nouvelle Revue Française (CP 03971 ; Kolb, XVIII, nº 291) : « [le] narrateur qui dit "je" et qui n'est pas toujours moi » (EA, p. 599). [NM]
  9. Voir la lettre-dédicace à Madame Scheikévitch de [peu après le 3 novembre 1915] (CP 03024), p. 2 : « j'aimerais mieux vous présenter les personnages que vous ne connaissez pas encore, celui surtout qui joue le plus grand rôle et amène la péripétie, Albertine ». Sur l'importance structurelle que Proust accorde à la scène de sadisme, voir aussi ses lettres à François Mauriac du [23 ou 24 septembre 1919] (CP 03911 ; Kolb, XVIII, n° 230), à André Chaumeix du [12 décembre 1919] (CP 03988 ; Kolb, XVIII, n° 308), et à Jean Ajalbert de [peu après le 10 décembre 1919] (CP 05359). [FP, NM]
  10. Le prix de la Vie Heureuse (prix Fémina) de 1919 fut décerné aux Croix de bois de Roland Dorgelès, le concurrent malheureux de Proust au Goncourt. [PK]
  11. Peu après le 13 novembre 1919, Proust avait proposé à Jacques Rivière un article sur le style de Flaubert, en réponse à un article d'Albert Thibaudet sur ce même sujet dans la Nouvelle Revue Française (« Réflexions sur la littérature : Sur le style de Flaubert », 1er novembre 1919, p. 942-953) : « S'il pouvait vous être agréable de publier une lettre de moi sur le Style de Flaubert (en réponse à M. Thibaudet) et sur la manière défectueuse qu'on a de juger les grands écrivains, en général, je pourrais écrire un très court article, une note » (CP 03950 ; Kolb, XVIII, nº 270). Le 5 décembre, Proust annonce qu'il travaille à « un long Flaubert », « cet énorme Flaubert » (CP 03968 ; Kolb, XVIII, nº 288). Le 8 ou le 9 décembre, Proust livre à Jacques Rivière un manuscrit d'une soixantaine de pages (CP 03971 ; Kolb, XVIII, nº 291) qui paraîtra dans la NRF du 1er janvier 1920 sous le titre « À propos du "style" de Flaubert » (p. 72-90). [CSz]
  12. (Notes de traduction)
  13. (Contributeurs)