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Marcel Proust à Anna de Noailles [les 26 et 27 mai 1919]

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102 boulevard Haussmann[1]

Madame,

Avec quel bonheur de résurrection j'ai vu après tant d'années les arceaux merveilleux de cette Écriture, desquels il semble qu'ils suffiraient à protéger le céleste Jardin que gardait l'Ange (devenu inutile) porteur de l'épée flamboyante[2]. Cette gentillesse de m'écrire ainsi, et si vite (qui cito dat, bis dat) [3] m'a ramené aux sentiments anciens que vous aviez depuis un peu martyrisés. Et je suis triste de penser, au moment de ce regain de respectueuse tendresse, que trois livres de moi vont paraître dans huit jours[4], où la place vous est faite par le hasard si petite, les quelques lignes du pastiche de Renan que vous connaissez[5], une ligne d'un pastiche de Saint-Simon nouveau que vous ne connaissez pas[6] (peut-être un mot dans les « Mélanges » [7] je ne sais pas, ce n'est pas moi qui ai confectionné la sélection). Je n'oublierai pas votre gentillesse d'aujourd'hui et j'aurai l'occasion, pas très lointaine, de traduire dignement ma gratitude. Mais je souffre de ne pas avoir sollicité et reçu ce mot de vous un mois plus tôt, quand j'aurais pu mettre dans le livre ce que maintenant je ne peux plus mettre que dans un autre[8].

C'est Monsieur de Noailles aussi que je voudrais remercier (comme la guerre l'a encore embelli !). Je trouverai un moyen. Qu'il est bon de s'être rappelé de vous parler de cela[9], dites-lui je vous en prie (vraiment, n'oubliez pas de lui dire) combien j'en ai été ému.

Ai-je besoin de vous dire que votre admirable lettre n'a été pour moi qu'un dessin sans prix car je n'ai pu déchiffrer un seul mot. Seul le nom de Bernstein est apparu et j'ai compris pourquoi il venait là[10]. Mais bien avant d'oser vous ennuyer de cela, il y a déjà des mois, je lui avais fait téléphoner et il avait comme moi égaré l'adresse. Cela n'a pas d'importance puisque Guiche (qui a été sublime pour moi dans toute cette affreuse histoire de déménagement, est allé voir les gérants, a tiré d'eux de l'argent pour moi alors que je croyais leur en devoir) a chargé son ingénieur de rechercher les maisons de liège susceptibles de convertir ma subérine[11] en bouchons.

Daignez agréer, Madame, ma respectueuse admiration reconnaissante

Marcel Proust

Après vous avoir écrit, je regarde une cinquantième fois le beau dessin arabesque, et voici que les mots « Cité du Retiro », un Élysée en Élysée qui nommé par vous devient les « Champs Élysées », brillent en lettres de feu. J'enverrai demain Cité du Retiro[12] savoir à quoi cette mystérieuse adresse peut correspondre. Sans doute y trouverai-je le placement de mon liège qui n'est pas répartissable dans le logis pour lequel je quitte le boulevard Haussmann. (Je le quitte parce que la Maison a été vendue à un banquier qui en bon M. Josse[13] veut en faire une banque, et pour cela, fait partir tous les locataires, sans comprendre qu'il y en a au moins un qu'il tue en le déracinant.) Je crois du reste que les forts, même de Liège, ont fait leur temps[14]. Et j'ai l'idée qu'il vaudrait mieux transporter les moyens de défense dans l'oreille. Madame Simone m'a parlé de boules d'ivoire[15] (comme j'aimerais avoir des précisions là-dessus !), la duchesse de Guiche d'ouate vaselinée. Mais sans doute ces dames sont moins sensibles au bruit que moi qui suis terriblement malade, mourant.


Notes

  1. Note 1
  2. Note 2
  3. Note 3
  4. Note 4
  5. Note 5
  6. Note 6
  7. Note 7
  8. Note 8
  9. Note 9
  10. Note 10
  11. Note 11
  12. Note 12
  13. Note 13
  14. Note 14
  15. Note 15
  16. Translation notes:
  17. Contributors: