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Bernard Grasset à Marcel Proust [le 22 mai 1919]

(Click on the link above to see this letter and its notes in the Corr-Proust digital edition, including all relevant hyperlinks.)


22 mai 1919[1]

Monsieur Marcel PROUST 102 boulevard Haussmann

Mon cher ami,

Je suis infiniment touché de la lettre que je reçois de vous et de toute la peine que vous vous êtes donnée pour m'exposer vos possibilités relativement à une collaboration éventuelle à laquelle je tiens plus qu'à tout[2].

J'en suis tellement touché et heureux que je viens vous proposer relativement à la question en suspens entre nous[3] et pour que nous n'ayons plus à en parler, la solution la plus amicale qui soit possible.

Comme vous le savez, les éléments de cette question sont :

1° Des droits d'auteur, qui vous sont dus sur le second tirage[4] et qui s'élèvent à 440,50 francs ;

2° L'indemnité qui m'est due par vous, pour le renoncement que vous m'avez demandé : 1° à un nouveau tirage de « Du côté de chez Swann » ; 2° à l'édition du second volume de « À la recherche du temps perdu », qui m'avait été concédée par traité. [5]

Sur ce point, je ne veux pas faire état seulement du manque à gagner que ce double renoncement me cause, manque à gagner évaluable à plusieurs milliers de francs : mais aussi et surtout de cette sorte de désaveu dont le public croira facilement que j'ai été l'objet, puisque je cesse brusquement d'être votre éditeur.

Je vous propose comme solution la plus amicale : de signer avec vous un accord d'après lequel je renoncerais à toute indemnité contre le simple renoncement par vous, aux droits infiniment moins élevés qui vous sont dus.

Ce serait, comme vous le voyez un accord très simple qui présenterait le grand avantage de mettre fin à une question embrouillée, sans que vous ayez à en peser les éléments complexes, et sans que vous ayez à débourser la moindre somme. Je vous demanderai seulement, sans qu'il soit besoin que nous l'insérions dans un traité quelconque, et votre simple parole me suffisant, l'engagement amical que tout ce qu'il vous sera possible de me donner, dans l'effort que j'entreprends[6], vous voudrez bien me le donner.

Je ne crois pas pouvoir mieux vous fournir, mon cher ami, la preuve de la peine que j'ai ressentie de ne plus être votre éditeur, et mon ardent désir de raccrocher sur une base possible une collaboration entre nous. Je serais heureux que vous y souscriviez d'élan.

En ce qui concerne cette collaboration, je vous remercie de tout cœur de ce que vous me dites. En somme, il y a avec vous, deux choses possibles :

1° Publier de vous des extraits de « Du côté de Guermantes ». Sur ce point, auriez-vous la très grande gentillesse de m'envoyer les épreuves des parties inédites de cet ouvrage[7], afin que je me rende compte si des fragments sont détachables et que je me mette éventuellement en rapport avec vous pour les choisir.

2° Publier de vous des articles ou chroniques sur les sujets indiqués. — Sur ce point tout est possible. Sans doute, nous n'avons pas à proprement parler de rubrique, c'est- à-dire que chaque question n'est pas traitée dans chacun des numéros, et nous n'avons pas un auteur pour chaque question. Nous n'avons pas plus de rubrique qu'il n'y en a dans la « Revue de Paris ». Mais je serais très heureux de publier de vous ce que vous voudrez, et par exemple, un ou des articles sur la MUSIQUE, ou un article sur la VIE INTÉRIEURE, ou un article sur la SOLITUDE. — Je tiens seulement à ce que vous me donniez des choses qui vous soient très chères. Je vous promets de mon côté de les mettre en valeur et de leur assurer la grande diffusion qu'elles méritent.

Vous savez, mon cher Proust, qu'avec notre revue, nous voudrions atteindre le très grand public. Dupuy[8] avait d'ailleurs songé à un premier tirage de deux cent mille. Nous allons maintenant vers le tirage d'origine à TROIS CENT MILLE. C'est donc une grosse partie que nous jouons. Nous voulons nous rendre compte s'il y a un public en France, pour les lectures de très haute qualité, qui ne tireraient pas leur attrait de l'actualité immédiate.

Notre revue sera ainsi pour vous un magnifique terrain d'expérience sur le grand public. Je serais vraiment heureux qu'il vous tentât.

Votre idée de demander quelque chose à Lucien Daudet est excellente. Voulez-vous le prier de venir me voir le plus tôt possible[9] ?

À bientôt, mon cher Proust, et croyez-moi très sincèrement votre ami.

Bernard Grasset

Notes

  1. Note 1
  2. Note 2
  3. Note 3
  4. Note 4
  5. Note 5
  6. Note 6
  7. Note 7
  8. Note 8
  9. Note 9
  10. Translation notes:
  11. Contributors: