CP 03779: Difference between revisions

From Corr-Proust Wiki
Jump to navigation Jump to search
(Created page with "<translate> <languages /> =[http://www.corr-proust.org/letter/03779 Bernard Grasset à Marcel Proust <nowiki>[le 22 mai 1919]</nowiki>]= <small>(Cliquez le lien ci-dessus pour consulter cette lettre et ses notes dans l’édition numérique ''Corr-Proust'', avec tous les hyperliens pertinents.)</small> 22 mai 1919<ref name="n1" /> Monsieur Marcel PROUST 102 boulevard Haussmann Mon cher ami, Je suis infiniment touché de la lettre que je reçois de vous et de tou...")
 
(Marked this version for translation)
Line 1: Line 1:
<translate>  
<translate>  


<!--T:1-->
<languages />
<languages />


=[http://www.corr-proust.org/letter/03779 Bernard Grasset à Marcel Proust <nowiki>[le 22 mai 1919]</nowiki>]=  
=[http://www.corr-proust.org/letter/03779 Bernard Grasset à Marcel Proust <nowiki>[le 22 mai 1919]</nowiki>]= <!--T:2-->
<small>(Cliquez le lien ci-dessus pour consulter cette lettre et ses notes dans l’édition numérique ''Corr-Proust'', avec tous les hyperliens pertinents.)</small>
<small>(Cliquez le lien ci-dessus pour consulter cette lettre et ses notes dans l’édition numérique ''Corr-Proust'', avec tous les hyperliens pertinents.)</small>




<!--T:3-->
22 mai 1919<ref name="n1" />
22 mai 1919<ref name="n1" />


<!--T:4-->
Monsieur Marcel PROUST 102 boulevard Haussmann
Monsieur Marcel PROUST 102 boulevard Haussmann


<!--T:5-->
Mon cher ami,
Mon cher ami,


<!--T:6-->
Je suis infiniment touché de la lettre que je reçois de vous et de toute la peine que vous vous êtes donnée pour m'exposer vos possibilités relativement à une collaboration éventuelle à laquelle je tiens plus qu'à tout<ref name="n2" />.
Je suis infiniment touché de la lettre que je reçois de vous et de toute la peine que vous vous êtes donnée pour m'exposer vos possibilités relativement à une collaboration éventuelle à laquelle je tiens plus qu'à tout<ref name="n2" />.


<!--T:7-->
J'en suis tellement touché et heureux que je viens vous proposer relativement à la question en suspens entre nous<ref name="n3" /> et pour que nous n'ayons plus à en parler, la solution la plus amicale qui soit possible.
J'en suis tellement touché et heureux que je viens vous proposer relativement à la question en suspens entre nous<ref name="n3" /> et pour que nous n'ayons plus à en parler, la solution la plus amicale qui soit possible.


<!--T:8-->
Comme vous le savez, les éléments de cette question sont :
Comme vous le savez, les éléments de cette question sont :


<!--T:9-->
1° Des droits d'auteur, qui vous sont dus sur le second tirage<ref name="n4" /> et qui s'élèvent à 440,50 francs ;
1° Des droits d'auteur, qui vous sont dus sur le second tirage<ref name="n4" /> et qui s'élèvent à 440,50 francs ;


<!--T:10-->
2° L'indemnité qui m'est due par vous, pour le renoncement que vous m'avez demandé : 1° à un nouveau tirage de « Du côté de chez Swann » ; 2° à l'édition du second volume de « À la recherche du temps perdu », qui m'avait été concédée par traité. <ref name="n5" />
2° L'indemnité qui m'est due par vous, pour le renoncement que vous m'avez demandé : 1° à un nouveau tirage de « Du côté de chez Swann » ; 2° à l'édition du second volume de « À la recherche du temps perdu », qui m'avait été concédée par traité. <ref name="n5" />


<!--T:11-->
Sur ce point, je ne veux pas faire état seulement du manque à gagner que ce double renoncement me cause, manque à gagner évaluable à plusieurs milliers de francs : mais aussi et surtout de cette sorte de désaveu dont le public croira facilement que j'ai été l'objet, puisque je cesse brusquement d'être votre éditeur.
Sur ce point, je ne veux pas faire état seulement du manque à gagner que ce double renoncement me cause, manque à gagner évaluable à plusieurs milliers de francs : mais aussi et surtout de cette sorte de désaveu dont le public croira facilement que j'ai été l'objet, puisque je cesse brusquement d'être votre éditeur.


<!--T:12-->
Je vous propose comme solution la plus amicale : de signer avec vous un accord d'après lequel je renoncerais à toute indemnité contre le simple renoncement par vous, aux droits infiniment moins élevés qui vous sont dus.
Je vous propose comme solution la plus amicale : de signer avec vous un accord d'après lequel je renoncerais à toute indemnité contre le simple renoncement par vous, aux droits infiniment moins élevés qui vous sont dus.


<!--T:13-->
Ce serait, comme vous le voyez un accord très simple qui présenterait le grand avantage de mettre fin à une question embrouillée, sans que vous ayez à en peser les éléments complexes, et sans que vous ayez à débourser la moindre somme. Je vous demanderai seulement, sans qu'il soit besoin que nous l'insérions dans un traité quelconque, et votre simple parole me suffisant, l'engagement amical que tout ce qu'il vous sera possible de me donner, dans l'effort que j'entreprends<ref name="n6" />, vous voudrez bien me le donner.
Ce serait, comme vous le voyez un accord très simple qui présenterait le grand avantage de mettre fin à une question embrouillée, sans que vous ayez à en peser les éléments complexes, et sans que vous ayez à débourser la moindre somme. Je vous demanderai seulement, sans qu'il soit besoin que nous l'insérions dans un traité quelconque, et votre simple parole me suffisant, l'engagement amical que tout ce qu'il vous sera possible de me donner, dans l'effort que j'entreprends<ref name="n6" />, vous voudrez bien me le donner.


<!--T:14-->
Je ne crois pas pouvoir mieux vous fournir, mon cher ami, la preuve de la peine que j'ai ressentie de ne plus être votre éditeur, et mon ardent désir de raccrocher sur une base possible une collaboration entre nous. Je serais heureux que vous y souscriviez d'élan.
Je ne crois pas pouvoir mieux vous fournir, mon cher ami, la preuve de la peine que j'ai ressentie de ne plus être votre éditeur, et mon ardent désir de raccrocher sur une base possible une collaboration entre nous. Je serais heureux que vous y souscriviez d'élan.


<!--T:15-->
En ce qui concerne cette collaboration, je vous remercie de tout cœur de ce que vous me dites. En somme, il y a avec vous, deux choses possibles :
En ce qui concerne cette collaboration, je vous remercie de tout cœur de ce que vous me dites. En somme, il y a avec vous, deux choses possibles :


<!--T:16-->
1° Publier de vous des extraits de « Du côté de Guermantes ». Sur ce point, auriez-vous la très grande gentillesse de m'envoyer les épreuves des parties inédites de cet ouvrage<ref name="n7" />, afin que je me rende compte si des fragments sont détachables et que je me mette éventuellement en rapport avec vous pour les choisir.
1° Publier de vous des extraits de « Du côté de Guermantes ». Sur ce point, auriez-vous la très grande gentillesse de m'envoyer les épreuves des parties inédites de cet ouvrage<ref name="n7" />, afin que je me rende compte si des fragments sont détachables et que je me mette éventuellement en rapport avec vous pour les choisir.


<!--T:17-->
2° Publier de vous des articles ou chroniques sur les sujets indiqués. — Sur ce point tout est possible. Sans doute, nous n'avons pas à proprement parler de rubrique, c'est- à-dire que chaque question n'est pas traitée dans chacun des numéros, et nous n'avons pas un auteur pour chaque question. Nous n'avons pas plus de rubrique qu'il n'y en a dans la « Revue de Paris ». Mais je serais très heureux de publier de vous ce que vous voudrez, et par exemple, un ou des articles sur la MUSIQUE, ou un article sur la VIE INTÉRIEURE, ou un article sur la SOLITUDE. — Je tiens seulement à ce que vous me donniez des choses qui vous soient très chères. Je vous promets de mon côté de les mettre en valeur et de leur assurer la grande diffusion qu'elles méritent.
2° Publier de vous des articles ou chroniques sur les sujets indiqués. — Sur ce point tout est possible. Sans doute, nous n'avons pas à proprement parler de rubrique, c'est- à-dire que chaque question n'est pas traitée dans chacun des numéros, et nous n'avons pas un auteur pour chaque question. Nous n'avons pas plus de rubrique qu'il n'y en a dans la « Revue de Paris ». Mais je serais très heureux de publier de vous ce que vous voudrez, et par exemple, un ou des articles sur la MUSIQUE, ou un article sur la VIE INTÉRIEURE, ou un article sur la SOLITUDE. — Je tiens seulement à ce que vous me donniez des choses qui vous soient très chères. Je vous promets de mon côté de les mettre en valeur et de leur assurer la grande diffusion qu'elles méritent.


<!--T:18-->
Vous savez, mon cher Proust, qu'avec notre revue, nous voudrions atteindre le très grand public. Dupuy<ref name="n8" /> avait d'ailleurs songé à un premier tirage de deux cent mille. Nous allons maintenant vers le tirage d'origine à TROIS CENT MILLE. C'est donc une grosse partie que nous jouons. Nous voulons nous rendre compte s'il y a un public en France, pour les lectures de très haute qualité, qui ne tireraient pas leur attrait de l'actualité immédiate.
Vous savez, mon cher Proust, qu'avec notre revue, nous voudrions atteindre le très grand public. Dupuy<ref name="n8" /> avait d'ailleurs songé à un premier tirage de deux cent mille. Nous allons maintenant vers le tirage d'origine à TROIS CENT MILLE. C'est donc une grosse partie que nous jouons. Nous voulons nous rendre compte s'il y a un public en France, pour les lectures de très haute qualité, qui ne tireraient pas leur attrait de l'actualité immédiate.


<!--T:19-->
Notre revue sera ainsi pour vous un magnifique terrain d'expérience sur le grand public. Je serais vraiment heureux qu'il vous tentât.
Notre revue sera ainsi pour vous un magnifique terrain d'expérience sur le grand public. Je serais vraiment heureux qu'il vous tentât.


<!--T:20-->
Votre idée de demander quelque chose à Lucien Daudet est excellente. Voulez-vous le prier de venir me voir le plus tôt possible<ref name="n9" /> ?
Votre idée de demander quelque chose à Lucien Daudet est excellente. Voulez-vous le prier de venir me voir le plus tôt possible<ref name="n9" /> ?


<!--T:21-->
À bientôt, mon cher Proust, et croyez-moi très sincèrement votre ami.
À bientôt, mon cher Proust, et croyez-moi très sincèrement votre ami.


<!--T:22-->
Bernard Grasset
Bernard Grasset


<!--T:23-->
<ref name="n10" /> <ref name="n11" />
<ref name="n10" /> <ref name="n11" />


==Notes==
==Notes== <!--T:24-->
<references>
<references>


<!--T:25-->
<ref name="n1"> La date est inscrite dans l'en-tête de la lettre. [ChC] </ref>
<ref name="n1"> La date est inscrite dans l'en-tête de la lettre. [ChC] </ref>


<!--T:26-->
<ref name="n2"> La lettre en question ne nous est pas parvenue. Voir ci-après (p. 3 de cette lettre) les propositions de collaboration envisagées par Proust. [PK, ChC] </ref>
<ref name="n2"> La lettre en question ne nous est pas parvenue. Voir ci-après (p. 3 de cette lettre) les propositions de collaboration envisagées par Proust. [PK, ChC] </ref>


<!--T:27-->
<ref name="n3"> La « question en suspens » entre Proust et Grasset est celle du dédommagement auquel l'éditeur estime avoir droit à la suite de la décision unilatérale de Proust, en 1916, de faire éditer par les éditions de la NRF la suite d'À la recherche du temps perdu, alors que le contrat d'édition signé en 1913 avec Grasset concernait la totalité du roman. [FL] </ref>
<ref name="n3"> La « question en suspens » entre Proust et Grasset est celle du dédommagement auquel l'éditeur estime avoir droit à la suite de la décision unilatérale de Proust, en 1916, de faire éditer par les éditions de la NRF la suite d'À la recherche du temps perdu, alors que le contrat d'édition signé en 1913 avec Grasset concernait la totalité du roman. [FL] </ref>


<!--T:28-->
<ref name="n4"> Le second tirage de Du côté de chez Swann, effectué au printemps de 1914. [FL] </ref>
<ref name="n4"> Le second tirage de Du côté de chez Swann, effectué au printemps de 1914. [FL] </ref>


<!--T:29-->
<ref name="n5"> Le contrat établi avec Grasset en mars 1913 prévoyait la publication du roman en deux tomes, à partir des estimations de Proust : « ce roman comprendra deux volumes de 650 pages chacun » qui paraîtraient « à dix mois d'intervalle », affirmait-il dans sa lettre à René Blum, chargé de démarcher Grasset [vers le 20 février 1913] (CP 02465 ; Kolb, XII, n° 26) ; affirmations que Proust réitérait quelques jours plus tard dans sa lettre à Grasset du [24 février 1913], alors qu'il venait de lui envoyer la dactylographie de 712 pages du premier volume : « le mieux serait de l'appeler Le Temps perdu, Première partie, et l'autre Le Temps perdu, Deuxième Partie puisque en réalité c'est un seul ouvrage. » (CP 02472 ; Kolb, XII, n° 33). À cette époque, seule cette « première partie » était dactylographiée, et Proust croyait que le reste du roman n'occuperait pas davantage de place. — Comme on sait, dès la composition des premières épreuves au printemps de 1913, le nombre excessif de pages du premier tome imposa un report d'environ 200 pages sur le tome suivant et une reconfiguration du roman en une « trilogie » (Du côté de chez Swann, Le Côté de Guermantes, Le Temps retrouvé, comme l'indique l'annonce de novembre 1913). — Grasset reprend ici les termes du contrat de mars 1913 : le « second volume » sur lequel il rappelle ses droits d'éditeur ne désigne pas À l'ombre des jeunes filles en fleurs, tome 2 qui résulte de la réélaboration du roman pendant la guerre (et dont la parution est imminente aux éditions de la NRF), mais le « second volume » de 1913, autrement dit : toute la matière romanesque qui restait à paraître après Du côté de chez Swann. Grasset ne peut pas savoir que, pendant les années de guerre, Proust a remodelé radicalement l'ordre et la matière des chapitres annoncés en 1913, développé de nouvelles séries romanesques, et que son roman, passé de deux (ou trois) tomes à cinq ou six en 1919, n'est plus celui que le contrat éditorial décrivait. [ChC, FL] </ref>
<ref name="n5"> Le contrat établi avec Grasset en mars 1913 prévoyait la publication du roman en deux tomes, à partir des estimations de Proust : « ce roman comprendra deux volumes de 650 pages chacun » qui paraîtraient « à dix mois d'intervalle », affirmait-il dans sa lettre à René Blum, chargé de démarcher Grasset [vers le 20 février 1913] (CP 02465 ; Kolb, XII, n° 26) ; affirmations que Proust réitérait quelques jours plus tard dans sa lettre à Grasset du [24 février 1913], alors qu'il venait de lui envoyer la dactylographie de 712 pages du premier volume : « le mieux serait de l'appeler Le Temps perdu, Première partie, et l'autre Le Temps perdu, Deuxième Partie puisque en réalité c'est un seul ouvrage. » (CP 02472 ; Kolb, XII, n° 33). À cette époque, seule cette « première partie » était dactylographiée, et Proust croyait que le reste du roman n'occuperait pas davantage de place. — Comme on sait, dès la composition des premières épreuves au printemps de 1913, le nombre excessif de pages du premier tome imposa un report d'environ 200 pages sur le tome suivant et une reconfiguration du roman en une « trilogie » (Du côté de chez Swann, Le Côté de Guermantes, Le Temps retrouvé, comme l'indique l'annonce de novembre 1913). — Grasset reprend ici les termes du contrat de mars 1913 : le « second volume » sur lequel il rappelle ses droits d'éditeur ne désigne pas À l'ombre des jeunes filles en fleurs, tome 2 qui résulte de la réélaboration du roman pendant la guerre (et dont la parution est imminente aux éditions de la NRF), mais le « second volume » de 1913, autrement dit : toute la matière romanesque qui restait à paraître après Du côté de chez Swann. Grasset ne peut pas savoir que, pendant les années de guerre, Proust a remodelé radicalement l'ordre et la matière des chapitres annoncés en 1913, développé de nouvelles séries romanesques, et que son roman, passé de deux (ou trois) tomes à cinq ou six en 1919, n'est plus celui que le contrat éditorial décrivait. [ChC, FL] </ref>


<!--T:30-->
<ref name="n6"> Allusion à la revue Nos loisirs : la revue littéraire moderne, dont le premier numéro de la nouvelle série d'après-guerre devait paraître le 15 juillet 1919. Grasset en parle plus loin dans cette lettre, la désignant comme « notre revue ». [PK, ChC] </ref>
<ref name="n6"> Allusion à la revue Nos loisirs : la revue littéraire moderne, dont le premier numéro de la nouvelle série d'après-guerre devait paraître le 15 juillet 1919. Grasset en parle plus loin dans cette lettre, la désignant comme « notre revue ». [PK, ChC] </ref>


<!--T:31-->
<ref name="n7"> Rappelons que, suite à la reconfiguration d'À la recherche du temps perdu en trois tomes en juin-juillet 1913, le deuxième tome annoncé pour 1914 s'intitulait Le Côté de Guermantes et devait comprendre tout le chapitre sur Mme Swann et les amours du héros avec Gilberte, puis le premier séjour à Balbec sans les jeunes filles, reportés du premier volume initalement prévu, puis « Noms de personnes : la duchesse de Guermantes » (incluant le séjour à Doncières avec Saint-Loup), et enfin le salon de Mme de Villeparisis (incluant les propositions de mentorat de Charlus), tandis que tout le reste (y compris la rencontre des jeunes filles en fleurs à Balbec) devait constituer le troisième et dernier tome, Le Temps retrouvé (voir l'annonce des tomes prévus pour paraître en 1914). En juin 1914, Grasset avait donc fait composer ce deuxième tome (voir les Placards 1-28, correspondant aux chapitres situés réellement dans le monde des Guermantes, « Noms de personne : la duchesse de Guermantes » et « Le salon de Mme de Villeparisis », ainsi que les Placards 29-66, reproduisant le texte corrigé des placards écartés de 1913), et Proust avait corrigé une partie de ces placards, puisque l'impression des secondes épreuves était en route lors du déclenchement du conflit mondial, qui interrompit la poursuite du processus éditorial sine die. — Grasset demandant ici les « épreuves des parties inédites » du Côté de Guermantes (nous soulignons), il rappelle qu'il en possède déjà une partie (les placards composés en 1914). Il est difficile de savoir quelle connaissance ou représentation il a de l'évolution du roman de Proust depuis 1913, la lettre de Proust à laquelle il répond ne nous étant pas parvenue. Sait-il que le tome 2 qui va paraître en juin 1919 (sous un autre titre, À l'ombre des jeunes filles en fleurs) aux éditions de la NRF reprend toute la partie autour de Mme Swann et de Gilberte, c'est-à-dire la moitié du Côté de Guermantes de 1914, augmentée de morceaux qui ne devaient figurer que dans le dernier volume : le séjour à Balbec avec les jeunes filles ? Proust lui a-t-il indiqué que les extraits du Côté de Guermantes qu'il peut lui proposer seraient une pré-publication non du tome 2 mais du tome 3, en cours de composition et destiné à paraître en 1920, constitué des Placards Grasset 1 à 28 de 1914 augmentés de toute la partie sur la mort de la grand-mère, puis le dîner chez la duchesse de Guermantes, jusqu'à l'invitation chez la Princesse de Guermantes ? En l'absence de la lettre de Proust à laquelle il répond, on ne sait si Grasset demande communication du tome 2 (qui va paraître bientôt), ou du tome 3 (qui ne paraîtra qu'en 1920). [PK, ChC, FL] </ref>
<ref name="n7"> Rappelons que, suite à la reconfiguration d'À la recherche du temps perdu en trois tomes en juin-juillet 1913, le deuxième tome annoncé pour 1914 s'intitulait Le Côté de Guermantes et devait comprendre tout le chapitre sur Mme Swann et les amours du héros avec Gilberte, puis le premier séjour à Balbec sans les jeunes filles, reportés du premier volume initalement prévu, puis « Noms de personnes : la duchesse de Guermantes » (incluant le séjour à Doncières avec Saint-Loup), et enfin le salon de Mme de Villeparisis (incluant les propositions de mentorat de Charlus), tandis que tout le reste (y compris la rencontre des jeunes filles en fleurs à Balbec) devait constituer le troisième et dernier tome, Le Temps retrouvé (voir l'annonce des tomes prévus pour paraître en 1914). En juin 1914, Grasset avait donc fait composer ce deuxième tome (voir les Placards 1-28, correspondant aux chapitres situés réellement dans le monde des Guermantes, « Noms de personne : la duchesse de Guermantes » et « Le salon de Mme de Villeparisis », ainsi que les Placards 29-66, reproduisant le texte corrigé des placards écartés de 1913), et Proust avait corrigé une partie de ces placards, puisque l'impression des secondes épreuves était en route lors du déclenchement du conflit mondial, qui interrompit la poursuite du processus éditorial sine die. — Grasset demandant ici les « épreuves des parties inédites » du Côté de Guermantes (nous soulignons), il rappelle qu'il en possède déjà une partie (les placards composés en 1914). Il est difficile de savoir quelle connaissance ou représentation il a de l'évolution du roman de Proust depuis 1913, la lettre de Proust à laquelle il répond ne nous étant pas parvenue. Sait-il que le tome 2 qui va paraître en juin 1919 (sous un autre titre, À l'ombre des jeunes filles en fleurs) aux éditions de la NRF reprend toute la partie autour de Mme Swann et de Gilberte, c'est-à-dire la moitié du Côté de Guermantes de 1914, augmentée de morceaux qui ne devaient figurer que dans le dernier volume : le séjour à Balbec avec les jeunes filles ? Proust lui a-t-il indiqué que les extraits du Côté de Guermantes qu'il peut lui proposer seraient une pré-publication non du tome 2 mais du tome 3, en cours de composition et destiné à paraître en 1920, constitué des Placards Grasset 1 à 28 de 1914 augmentés de toute la partie sur la mort de la grand-mère, puis le dîner chez la duchesse de Guermantes, jusqu'à l'invitation chez la Princesse de Guermantes ? En l'absence de la lettre de Proust à laquelle il répond, on ne sait si Grasset demande communication du tome 2 (qui va paraître bientôt), ou du tome 3 (qui ne paraîtra qu'en 1920). [PK, ChC, FL] </ref>


<!--T:32-->
<ref name="n8"> Il s'agit de Jean Dupuy, directeur du Siècle, du Petit Parisien, président du syndicat de la Presse, sénateur des Hautes-Pyrénées de 1891 à 1919, ministre de l'Agriculture (1890-1902), ministre du Commerce et de l'Industrie (1909-1911), ministre des Travaux publics (1912-1913, et 1914). [PK] </ref>
<ref name="n8"> Il s'agit de Jean Dupuy, directeur du Siècle, du Petit Parisien, président du syndicat de la Presse, sénateur des Hautes-Pyrénées de 1891 à 1919, ministre de l'Agriculture (1890-1902), ministre du Commerce et de l'Industrie (1909-1911), ministre des Travaux publics (1912-1913, et 1914). [PK] </ref>


<!--T:33-->
<ref name="n9"> Les lettres que Proust échangea avec Lucien Daudet à ce sujet ne nous sont pas parvenues, mais on voit que Proust voulait rendre service à son ami en proposant son nom à Grasset. [PK] </ref>
<ref name="n9"> Les lettres que Proust échangea avec Lucien Daudet à ce sujet ne nous sont pas parvenues, mais on voit que Proust voulait rendre service à son ami en proposant son nom à Grasset. [PK] </ref>


<!--T:34-->
<ref name="n10"> (Notes de traduction) </ref>  
<ref name="n10"> (Notes de traduction) </ref>  


<!--T:35-->
<ref name="n11"> (Contributeurs) </ref>
<ref name="n11"> (Contributeurs) </ref>


<!--T:36-->
</references>
</references>


</translate>
</translate>

Revision as of 12:31, 31 January 2022


Other languages:

Bernard Grasset à Marcel Proust [le 22 mai 1919]

(Cliquez le lien ci-dessus pour consulter cette lettre et ses notes dans l’édition numérique Corr-Proust, avec tous les hyperliens pertinents.)


22 mai 1919[1]

Monsieur Marcel PROUST 102 boulevard Haussmann

Mon cher ami,

Je suis infiniment touché de la lettre que je reçois de vous et de toute la peine que vous vous êtes donnée pour m'exposer vos possibilités relativement à une collaboration éventuelle à laquelle je tiens plus qu'à tout[2].

J'en suis tellement touché et heureux que je viens vous proposer relativement à la question en suspens entre nous[3] et pour que nous n'ayons plus à en parler, la solution la plus amicale qui soit possible.

Comme vous le savez, les éléments de cette question sont :

1° Des droits d'auteur, qui vous sont dus sur le second tirage[4] et qui s'élèvent à 440,50 francs ;

2° L'indemnité qui m'est due par vous, pour le renoncement que vous m'avez demandé : 1° à un nouveau tirage de « Du côté de chez Swann » ; 2° à l'édition du second volume de « À la recherche du temps perdu », qui m'avait été concédée par traité. [5]

Sur ce point, je ne veux pas faire état seulement du manque à gagner que ce double renoncement me cause, manque à gagner évaluable à plusieurs milliers de francs : mais aussi et surtout de cette sorte de désaveu dont le public croira facilement que j'ai été l'objet, puisque je cesse brusquement d'être votre éditeur.

Je vous propose comme solution la plus amicale : de signer avec vous un accord d'après lequel je renoncerais à toute indemnité contre le simple renoncement par vous, aux droits infiniment moins élevés qui vous sont dus.

Ce serait, comme vous le voyez un accord très simple qui présenterait le grand avantage de mettre fin à une question embrouillée, sans que vous ayez à en peser les éléments complexes, et sans que vous ayez à débourser la moindre somme. Je vous demanderai seulement, sans qu'il soit besoin que nous l'insérions dans un traité quelconque, et votre simple parole me suffisant, l'engagement amical que tout ce qu'il vous sera possible de me donner, dans l'effort que j'entreprends[6], vous voudrez bien me le donner.

Je ne crois pas pouvoir mieux vous fournir, mon cher ami, la preuve de la peine que j'ai ressentie de ne plus être votre éditeur, et mon ardent désir de raccrocher sur une base possible une collaboration entre nous. Je serais heureux que vous y souscriviez d'élan.

En ce qui concerne cette collaboration, je vous remercie de tout cœur de ce que vous me dites. En somme, il y a avec vous, deux choses possibles :

1° Publier de vous des extraits de « Du côté de Guermantes ». Sur ce point, auriez-vous la très grande gentillesse de m'envoyer les épreuves des parties inédites de cet ouvrage[7], afin que je me rende compte si des fragments sont détachables et que je me mette éventuellement en rapport avec vous pour les choisir.

2° Publier de vous des articles ou chroniques sur les sujets indiqués. — Sur ce point tout est possible. Sans doute, nous n'avons pas à proprement parler de rubrique, c'est- à-dire que chaque question n'est pas traitée dans chacun des numéros, et nous n'avons pas un auteur pour chaque question. Nous n'avons pas plus de rubrique qu'il n'y en a dans la « Revue de Paris ». Mais je serais très heureux de publier de vous ce que vous voudrez, et par exemple, un ou des articles sur la MUSIQUE, ou un article sur la VIE INTÉRIEURE, ou un article sur la SOLITUDE. — Je tiens seulement à ce que vous me donniez des choses qui vous soient très chères. Je vous promets de mon côté de les mettre en valeur et de leur assurer la grande diffusion qu'elles méritent.

Vous savez, mon cher Proust, qu'avec notre revue, nous voudrions atteindre le très grand public. Dupuy[8] avait d'ailleurs songé à un premier tirage de deux cent mille. Nous allons maintenant vers le tirage d'origine à TROIS CENT MILLE. C'est donc une grosse partie que nous jouons. Nous voulons nous rendre compte s'il y a un public en France, pour les lectures de très haute qualité, qui ne tireraient pas leur attrait de l'actualité immédiate.

Notre revue sera ainsi pour vous un magnifique terrain d'expérience sur le grand public. Je serais vraiment heureux qu'il vous tentât.

Votre idée de demander quelque chose à Lucien Daudet est excellente. Voulez-vous le prier de venir me voir le plus tôt possible[9] ?

À bientôt, mon cher Proust, et croyez-moi très sincèrement votre ami.

Bernard Grasset

[10] [11]

Notes

  1. La date est inscrite dans l'en-tête de la lettre. [ChC]
  2. La lettre en question ne nous est pas parvenue. Voir ci-après (p. 3 de cette lettre) les propositions de collaboration envisagées par Proust. [PK, ChC]
  3. La « question en suspens » entre Proust et Grasset est celle du dédommagement auquel l'éditeur estime avoir droit à la suite de la décision unilatérale de Proust, en 1916, de faire éditer par les éditions de la NRF la suite d'À la recherche du temps perdu, alors que le contrat d'édition signé en 1913 avec Grasset concernait la totalité du roman. [FL]
  4. Le second tirage de Du côté de chez Swann, effectué au printemps de 1914. [FL]
  5. Le contrat établi avec Grasset en mars 1913 prévoyait la publication du roman en deux tomes, à partir des estimations de Proust : « ce roman comprendra deux volumes de 650 pages chacun » qui paraîtraient « à dix mois d'intervalle », affirmait-il dans sa lettre à René Blum, chargé de démarcher Grasset [vers le 20 février 1913] (CP 02465 ; Kolb, XII, n° 26) ; affirmations que Proust réitérait quelques jours plus tard dans sa lettre à Grasset du [24 février 1913], alors qu'il venait de lui envoyer la dactylographie de 712 pages du premier volume : « le mieux serait de l'appeler Le Temps perdu, Première partie, et l'autre Le Temps perdu, Deuxième Partie puisque en réalité c'est un seul ouvrage. » (CP 02472 ; Kolb, XII, n° 33). À cette époque, seule cette « première partie » était dactylographiée, et Proust croyait que le reste du roman n'occuperait pas davantage de place. — Comme on sait, dès la composition des premières épreuves au printemps de 1913, le nombre excessif de pages du premier tome imposa un report d'environ 200 pages sur le tome suivant et une reconfiguration du roman en une « trilogie » (Du côté de chez Swann, Le Côté de Guermantes, Le Temps retrouvé, comme l'indique l'annonce de novembre 1913). — Grasset reprend ici les termes du contrat de mars 1913 : le « second volume » sur lequel il rappelle ses droits d'éditeur ne désigne pas À l'ombre des jeunes filles en fleurs, tome 2 qui résulte de la réélaboration du roman pendant la guerre (et dont la parution est imminente aux éditions de la NRF), mais le « second volume » de 1913, autrement dit : toute la matière romanesque qui restait à paraître après Du côté de chez Swann. Grasset ne peut pas savoir que, pendant les années de guerre, Proust a remodelé radicalement l'ordre et la matière des chapitres annoncés en 1913, développé de nouvelles séries romanesques, et que son roman, passé de deux (ou trois) tomes à cinq ou six en 1919, n'est plus celui que le contrat éditorial décrivait. [ChC, FL]
  6. Allusion à la revue Nos loisirs : la revue littéraire moderne, dont le premier numéro de la nouvelle série d'après-guerre devait paraître le 15 juillet 1919. Grasset en parle plus loin dans cette lettre, la désignant comme « notre revue ». [PK, ChC]
  7. Rappelons que, suite à la reconfiguration d'À la recherche du temps perdu en trois tomes en juin-juillet 1913, le deuxième tome annoncé pour 1914 s'intitulait Le Côté de Guermantes et devait comprendre tout le chapitre sur Mme Swann et les amours du héros avec Gilberte, puis le premier séjour à Balbec sans les jeunes filles, reportés du premier volume initalement prévu, puis « Noms de personnes : la duchesse de Guermantes » (incluant le séjour à Doncières avec Saint-Loup), et enfin le salon de Mme de Villeparisis (incluant les propositions de mentorat de Charlus), tandis que tout le reste (y compris la rencontre des jeunes filles en fleurs à Balbec) devait constituer le troisième et dernier tome, Le Temps retrouvé (voir l'annonce des tomes prévus pour paraître en 1914). En juin 1914, Grasset avait donc fait composer ce deuxième tome (voir les Placards 1-28, correspondant aux chapitres situés réellement dans le monde des Guermantes, « Noms de personne : la duchesse de Guermantes » et « Le salon de Mme de Villeparisis », ainsi que les Placards 29-66, reproduisant le texte corrigé des placards écartés de 1913), et Proust avait corrigé une partie de ces placards, puisque l'impression des secondes épreuves était en route lors du déclenchement du conflit mondial, qui interrompit la poursuite du processus éditorial sine die. — Grasset demandant ici les « épreuves des parties inédites » du Côté de Guermantes (nous soulignons), il rappelle qu'il en possède déjà une partie (les placards composés en 1914). Il est difficile de savoir quelle connaissance ou représentation il a de l'évolution du roman de Proust depuis 1913, la lettre de Proust à laquelle il répond ne nous étant pas parvenue. Sait-il que le tome 2 qui va paraître en juin 1919 (sous un autre titre, À l'ombre des jeunes filles en fleurs) aux éditions de la NRF reprend toute la partie autour de Mme Swann et de Gilberte, c'est-à-dire la moitié du Côté de Guermantes de 1914, augmentée de morceaux qui ne devaient figurer que dans le dernier volume : le séjour à Balbec avec les jeunes filles ? Proust lui a-t-il indiqué que les extraits du Côté de Guermantes qu'il peut lui proposer seraient une pré-publication non du tome 2 mais du tome 3, en cours de composition et destiné à paraître en 1920, constitué des Placards Grasset 1 à 28 de 1914 augmentés de toute la partie sur la mort de la grand-mère, puis le dîner chez la duchesse de Guermantes, jusqu'à l'invitation chez la Princesse de Guermantes ? En l'absence de la lettre de Proust à laquelle il répond, on ne sait si Grasset demande communication du tome 2 (qui va paraître bientôt), ou du tome 3 (qui ne paraîtra qu'en 1920). [PK, ChC, FL]
  8. Il s'agit de Jean Dupuy, directeur du Siècle, du Petit Parisien, président du syndicat de la Presse, sénateur des Hautes-Pyrénées de 1891 à 1919, ministre de l'Agriculture (1890-1902), ministre du Commerce et de l'Industrie (1909-1911), ministre des Travaux publics (1912-1913, et 1914). [PK]
  9. Les lettres que Proust échangea avec Lucien Daudet à ce sujet ne nous sont pas parvenues, mais on voit que Proust voulait rendre service à son ami en proposant son nom à Grasset. [PK]
  10. (Notes de traduction)
  11. (Contributeurs)