CP 03292: Difference between revisions

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Cher Jean
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Si je n’avais une telle crise aujourd’hui je voudrais vous dire – et pour Monsieur Picasso – les éternuements et le spleen que provoque inlassablement en moi le bleu dominical aux astragales blanches de l’acrobate incompris<ref name="n2" />, dansant « Comme s’il adressait des reproches à Dieu. » <ref name="n3" /> Je vis avec cette nostalgie. Les autres ballets<ref name="n4" /> étaient quelconques. Celui-là poignant et continue à développer en moi je vous dirai quels regrets. Je revois le cheval mauve<ref name="n5" /> comme le Cygne « avec ses gestes fous, Comme les exilés ridicule et sublime ». <ref name="n6" /> « Et puis je pense à vous ».<ref name="n7" /> À vous, Jean, et je pense aussi à l’« écossais » de la petite fille, si touchant, de la petite fille qui freine et met en marche si merveilleusement. Quelle concentration dans tout cela, quelle nourriture pour des âges de famine et quel chagrin quand j’avais encore des jambes de n’avoir pas fréquenté la poussière des cirques et tout ce dont j’ai ce soir la déchirante pitié. Merci cher Jean de m’avoir aidé de toutes façons<ref name="n8" /> à faire l'effort dans l'état où j'étais d’aller chercher au Châtelet « Le seul pain si délectable Que ne sert pas à sa table Le monde que nous suivons ». <ref name="n9" /> Comme Picasso est beau.


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Tendrement à vous
Tendrement à vous


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Marcel
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<ref name="n1"> Cette lettre se situe peu après le 21 mai 1917, car Proust l'écrit après avoir assisté à l'une des représentations des Ballets Russes données au Théâtre du Châtelet au mois de mai 1917, les 21 ou 23. Les Ballets Russes partirent pour Madrid le 24 mai (« Dans les théâtres », Le Gaulois, 18 mai 1917, p. 4). [PK, FP] </ref>
<ref name="n1"> Cette lettre se situe peu après le 21 mai 1917, car Proust l'écrit après avoir assisté à l'une des représentations des Ballets Russes données au Théâtre du Châtelet au mois de mai 1917, les 21 ou 23. Les Ballets Russes partirent pour Madrid le 24 mai (« Dans les théâtres », Le Gaulois, 18 mai 1917, p. 4). [PK, FP] </ref>


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<ref name="n2"> Il s'agit du ballet Parade, sur un thème de Jean Cocteau, musique d'Erik Satie, chorégraphie de Léonide Massine, décors et costumes de Pablo Picasso, qui fut mal reçu. Le décor représentait un cadre urbain, dans le style cubiste. Un acrobate portait un maillot bleu et blanc. Le programme des premières représentations reproduisait des textes d'Apollinaire et de Léon Bakst (Jean Cocteau, Entre Picasso et Radiguet, Paris, 1967, p. 69-71). Des photographies du spectacle sont conservées dans les collections du Victoria and Albert Museum : voir l'un des clichés de l'acrobate et son maillot aux astragales blanches. Une reconstitution, fidèle à la chorégraphie, à la partition, aux décors et aux costumes, a été tentée (Susanna Della Pietra, 2008). [PK, CSz, NM] </ref>
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<ref name="n3"> Baudelaire, « Le Cygne » (Les Fleurs du Mal, 1857), septième strophe : « Vers le ciel ironique et cruellement bleu,/ Sur son cou convulsif tendant sa tête avide,/ Comme s'il adressait des reproches à Dieu ! » [PK] </ref>
<ref name="n3"> Baudelaire, « Le Cygne » (Les Fleurs du Mal, 1857), septième strophe : « Vers le ciel ironique et cruellement bleu,/ Sur son cou convulsif tendant sa tête avide,/ Comme s'il adressait des reproches à Dieu ! » [PK] </ref>


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<ref name="n4"> Le programme des représentations des Ballets Russes au Châtelet en mai 1917 précise qu'il s'agit de : Soleil de minuit (danses russes), musique de Rimsky-Korsakov, décor et costumes de Larionov, chorégraphie de Massine ; Petrouchka, de Stravinsky et Benois ; et Les Femmes de bonne humeur, de Bakst et Massine. [PK, FP] </ref>
<ref name="n4"> Le programme des représentations des Ballets Russes au Châtelet en mai 1917 précise qu'il s'agit de : Soleil de minuit (danses russes), musique de Rimsky-Korsakov, décor et costumes de Larionov, chorégraphie de Massine ; Petrouchka, de Stravinsky et Benois ; et Les Femmes de bonne humeur, de Bakst et Massine. [PK, FP] </ref>


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<ref name="n5"> Il s'agit d'une des figures du ballet Parade, dont subsiste une photographie. [CSz] </ref>
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<ref name="n6"> « Le Cygne », neuvième strophe : « Je pense à mon grand cygne, avec ses gestes fous,/ Comme les exilés, ridicule et sublime,/ Et rongé d'un désir sans trêve ! et puis à vous, / Andromaque […] ». [PK] </ref>
<ref name="n6"> « Le Cygne », neuvième strophe : « Je pense à mon grand cygne, avec ses gestes fous,/ Comme les exilés, ridicule et sublime,/ Et rongé d'un désir sans trêve ! et puis à vous, / Andromaque […] ». [PK] </ref>


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<ref name="n7"> Allusion au premier vers du même poème : « Andromaque, je pense à vous ! » [PK] </ref>
<ref name="n7"> Allusion au premier vers du même poème : « Andromaque, je pense à vous ! » [PK] </ref>


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<ref name="n8"> Proust, qui avait lu les critiques qui avaient suivi la première de Parade le 18 mai, avait exprimé à Cocteau le souhait d'assister à l'une des représentations si son état de santé le lui permettait (CP 03290 ; Kolb, XVI, nº 64, [le 19 ou le 20 mai 1917]) : « […] je voudrais bien pour mon humble part bénéficier d'un autre [miracle] et qui serait qu'un jour de santé coïncidât avec un jour de Parade. » [CSz] </ref>
<ref name="n8"> Proust, qui avait lu les critiques qui avaient suivi la première de Parade le 18 mai, avait exprimé à Cocteau le souhait d'assister à l'une des représentations si son état de santé le lui permettait (CP 03290 ; Kolb, XVI, nº 64, [le 19 ou le 20 mai 1917]) : « […] je voudrais bien pour mon humble part bénéficier d'un autre [miracle] et qui serait qu'un jour de santé coïncidât avec un jour de Parade. » [CSz] </ref>


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<ref name="n9"> Racine, Cantiques Spirituels (1694), troisième strophe, adaptée : « […] C'est ce pain si délectable/ Que ne sert pas à sa table/ Le monde que vous suivez ». [PK] </ref>
<ref name="n9"> Racine, Cantiques Spirituels (1694), troisième strophe, adaptée : « […] C'est ce pain si délectable/ Que ne sert pas à sa table/ Le monde que vous suivez ». [PK] </ref>


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Revision as of 14:17, 24 January 2022


Other languages:

Marcel Proust à Jean Cocteau [peu après le lundi 21 mai 1917]

(Cliquez le lien ci-dessus pour consulter cette lettre et ses notes dans l’édition numérique Corr-Proust, avec tous les hyperliens pertinents.)

[1]

Cher Jean

Si je n’avais une telle crise aujourd’hui je voudrais vous dire – et pour Monsieur Picasso – les éternuements et le spleen que provoque inlassablement en moi le bleu dominical aux astragales blanches de l’acrobate incompris[2], dansant « Comme s’il adressait des reproches à Dieu. » [3] Je vis avec cette nostalgie. Les autres ballets[4] étaient quelconques. Celui-là poignant et continue à développer en moi je vous dirai quels regrets. Je revois le cheval mauve[5] comme le Cygne « avec ses gestes fous, Comme les exilés ridicule et sublime ». [6] « Et puis je pense à vous ».[7] À vous, Jean, et je pense aussi à l’« écossais » de la petite fille, si touchant, de la petite fille qui freine et met en marche si merveilleusement. Quelle concentration dans tout cela, quelle nourriture pour des âges de famine et quel chagrin quand j’avais encore des jambes de n’avoir pas fréquenté la poussière des cirques et tout ce dont j’ai ce soir la déchirante pitié. Merci cher Jean de m’avoir aidé de toutes façons[8] à faire l'effort dans l'état où j'étais d’aller chercher au Châtelet « Le seul pain si délectable Que ne sert pas à sa table Le monde que nous suivons ». [9] Comme Picasso est beau.

Tendrement à vous

Marcel

[10] [11]

Notes

  1. Cette lettre se situe peu après le 21 mai 1917, car Proust l'écrit après avoir assisté à l'une des représentations des Ballets Russes données au Théâtre du Châtelet au mois de mai 1917, les 21 ou 23. Les Ballets Russes partirent pour Madrid le 24 mai (« Dans les théâtres », Le Gaulois, 18 mai 1917, p. 4). [PK, FP]
  2. Il s'agit du ballet Parade, sur un thème de Jean Cocteau, musique d'Erik Satie, chorégraphie de Léonide Massine, décors et costumes de Pablo Picasso, qui fut mal reçu. Le décor représentait un cadre urbain, dans le style cubiste. Un acrobate portait un maillot bleu et blanc. Le programme des premières représentations reproduisait des textes d'Apollinaire et de Léon Bakst (Jean Cocteau, Entre Picasso et Radiguet, Paris, 1967, p. 69-71). Des photographies du spectacle sont conservées dans les collections du Victoria and Albert Museum : voir l'un des clichés de l'acrobate et son maillot aux astragales blanches. Une reconstitution, fidèle à la chorégraphie, à la partition, aux décors et aux costumes, a été tentée (Susanna Della Pietra, 2008). [PK, CSz, NM]
  3. Baudelaire, « Le Cygne » (Les Fleurs du Mal, 1857), septième strophe : « Vers le ciel ironique et cruellement bleu,/ Sur son cou convulsif tendant sa tête avide,/ Comme s'il adressait des reproches à Dieu ! » [PK]
  4. Le programme des représentations des Ballets Russes au Châtelet en mai 1917 précise qu'il s'agit de : Soleil de minuit (danses russes), musique de Rimsky-Korsakov, décor et costumes de Larionov, chorégraphie de Massine ; Petrouchka, de Stravinsky et Benois ; et Les Femmes de bonne humeur, de Bakst et Massine. [PK, FP]
  5. Il s'agit d'une des figures du ballet Parade, dont subsiste une photographie. [CSz]
  6. « Le Cygne », neuvième strophe : « Je pense à mon grand cygne, avec ses gestes fous,/ Comme les exilés, ridicule et sublime,/ Et rongé d'un désir sans trêve ! et puis à vous, / Andromaque […] ». [PK]
  7. Allusion au premier vers du même poème : « Andromaque, je pense à vous ! » [PK]
  8. Proust, qui avait lu les critiques qui avaient suivi la première de Parade le 18 mai, avait exprimé à Cocteau le souhait d'assister à l'une des représentations si son état de santé le lui permettait (CP 03290 ; Kolb, XVI, nº 64, [le 19 ou le 20 mai 1917]) : « […] je voudrais bien pour mon humble part bénéficier d'un autre [miracle] et qui serait qu'un jour de santé coïncidât avec un jour de Parade. » [CSz]
  9. Racine, Cantiques Spirituels (1694), troisième strophe, adaptée : « […] C'est ce pain si délectable/ Que ne sert pas à sa table/ Le monde que vous suivez ». [PK]
  10. (Notes de traduction)
  11. (Contributeurs)