CP 03097

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Marcel Proust à Lionel Hauser le samedi 13 mai 1916

(Cliquez le lien ci-dessus pour consulter cette lettre et ses notes dans l’édition numérique Corr-Proust, avec tous les hyperliens pertinents.)

Samedi 13 mai 1916

Mon cher Lionel

Je te remercie de vouloir bien veiller ainsi au grain, et admire en même temps que ta double mentalité de natif d'un pays allié (Portugal)[1] et de Français d'adoption te fasse rechercher avec soin les occasions d'aider M. Ribot, soit par la souscription à l'emprunt national (que les grandes banques conseillèrent, sans la faciliter) soit par le prêt de valeurs neutres[2]. Pour arriver à ces dernières je te rappellerai, ce qui, je comprends n'est pas resté gravé en caractères flamboyants parmi tes plus saisissants souvenirs, que j'ai, sur ton conseil, vendu il y a quelques mois Nord Espagne, Saragosse et Hollandais, valeurs que tu me cites et que je ne possède plus[3]. Par contre je possède les Suez et l'Égyptien (et même du Brésilien). Si le prêt n'empêche pas, ou ne rend pas difficile, la vente, j'y suis très favorable. Mais tu sais que l'Égyptien figure sur ma liste de valeurs don’t la vente doit arriver à rembourser mes dettes au Crédit Industriel[4]. Comme sur cette liste, sauf les valeurs précitées et l'Interborough, le Crédit Industriel, peut-être mou, peut-être contraint, n'a encore rien pu vendre, je ne voudrais remettre mes titres égyptiens au Ministre des finances, que si cela ne m'empêche pas de les vendre pour ne plus payer 8 % d'intérêts, sans compter des « agios » assez obscurs et des intérêts « moratoriés »[5] (« Dieu qu'en termes gallants ces choses-là sont mises »)[6]. Ne prends pas la peine de me répondre à cet égard. Si tu me dis de prêter au Ministre des finances mes Suez et mes Égyptiens (j'ai aussi du Crédit foncier égyptien), je conclurai que le prêt n'empêche pas la vente et je signerai tout ce que tu m'enverras à signer. Quant à la substitution des titres, le 5 % au porteur ne serait-il pas plus pratique pour le cas où l'extinction de ma dette en demanderait quelques ventes plus tard ? Encore sur ce point ne me réponds pas. Si tu as pour faire accepter cette substitution à intervenir auprès du Crédit Industriel, tu devrais bien par la même occasion leur conseiller de se contenter, après avoir tant gagné à mes dépens, de 6 % (mais sans mettre en cause le Directeur de l'Agence. Sinon je préfère payer 8 %)[7]. À l'occasion j'aimerais que tu me dises si les banques comme la Banque Rothschild et le Crédit Industriel avertissent leurs clients quand ils gagnent des lots. J'ai des foncières, des communales, un bon de la Presse, et ne regarde jamais les tirages. Enfin pour terminer mon pharmacien[8] me présentant pour fin courant une note formidable[9], tu serais bien gentil de me faire dire ce que je suis en mesure de faire toucher chez toi.

Le mystère du Caucasian persiste : le lendemain du jour où j'ai accepté la transaction de Léon il a fait un bond de 10 francs et n'a plus bougé[10].

Mille affections reconnaissantes de ton

Marcel Proust

[11] [12]

Notes

  1. Le Figaro du 10 mars 1916, page 2, annonce : « Rupture germano-portugaise : Le ministre d'Allemagne à Lisbonne rappelé ». Le lendemain, le même journal annonce, en première page : « La rupture germano-portugaise : L'état de guerre proclamé ». Dans sa réponse du 17 mai 1916, Hauser corrige l'erreur de Proust : « je n'ai jamais été de nationalité portugaise. Je suis né sujet britannique étant né sur le sol britannique (lisez Gibraltar). » (CP 03099 ; Kolb, XV, nº 35). [PK, FP]
  2. Voir la lettre de Hauser du 12 mai 1916 : « notre Ministre des Finances vient de s'adresser aux porteurs de valeurs des pays neutres, les invitant à lui prêter certaines de ces valeurs pour lui permettre de se procurer du change. » (CP 03096 ; Kolb, XV, nº 32). [FP]
  3. Il semble que Hauser avait proposé à Proust, au mois d'octobre 1915, de vendre des actions de chemin de fer Nord Espagne, Interborough et Hollandais, afin d'y substituer « de meilleurs achats ». Le 25 novembre suivant, Proust annonce que le Nord Espagne et le Saragosse sont « déjà vendus ». La vente du « Hollandais » a dû s'effectuer peu de jours après le 16 décembre. Voir les lettres de Proust à Hauser du [26 novembre 1915] (CP 03035 ; Kolb, XIV, n° 147) et du 16 décembre 1915 (CP 03045 ; Kolb, XIV, n° 157), et la lettre de Hauser à Proust du 17 décembre 1915 (CP 03046 ; Kolb, XIV, n° 158). [PK]
  4. Au sujet de l'emprunt contracté par Proust au Crédit industriel et commercial, voir la lettre CP 03096, note 2. Sur les 218 000 francs empruntés en 1912, il en devait encore 184 000 au 28 février 1916, selon la vérification établie par Hauser (voir CP 03115 ; Kolb, XV, n° 51). [FP, FL]
  5. Il s'agit des frais dus sur la différence de cours des valeurs achetées à terme avant la guerre, dont le cours avait chuté à cause du conflit et de la fermeture des Bourses. Alors que le moratorium décidé fin juillet 1914 (voir CP 02812, note 14) avait suspendu toutes les opérations boursières et que sa prorogation laissait penser que les liquidations des engagements à terme ne reprendraient qu'après la guerre, quand les valeurs boursières auraient retrouvé un cours normal, un décret du 16 septembre 1915 avait permis la reprise des liquidations, en étalant le paiement des « différences », par dixièmes, de la fin septembre 1915 à la fin juin 1916 : « ce règlement des différences […] se fera en dix portions mensuelles à partir de la prochaine liquidation [liquidation de la fin septembre 1915], la première portion devant être versée en même temps que les intérêts moratoires. » (Le Temps, 20 septembre 1915, « Semaine financière », p. 3.) Proust commentait cette situation dans sa lettre du 22 octobre 1915 à Nicolas Cottin, p. 2-3 (voir CP 03007, note 8 ; Kolb, XIV, n° 119). [FL]
  6. Molière, Le Misanthrope, acte I, scène 2, vers 325 (Philinte à propos du sonnet d'Oronte) : « Ah ! qu'en termes galants ces choses-là sont mises ! » [PK]
  7. Proust écrivait déjà à Hauser le [25 janvier 1916], au sujet de Gaston Roüillard de Kerivily : « j'ai vu enfin le Directeur de l'Agence qui a été très gentil, et ne voudrais pas le désobliger » (CP 03071 ; Kolb, XV, nº 7). Il insistait de nouveau le [28 janvier 1916] : « … faire avoir des ennuis à quelqu'un d'obligeant, me causerait une peine profonde, cela dût-il diminuer ma dette » (CP 03073 ; Kolb, XV, nº 9). [FP]
  8. D'après les souvenirs de Céleste Albaret, il s'agit de « la pharmacie Leclerc, rue Vignon, au coin de la rue de Sèze », dans le 9e arrondissement (Monsieur Proust, souvenirs recueillis par Georges Belmont, Paris, Robert Laffont, 1973, p. 84). [FP]
  9. Hauser calculait, en 1909, que Proust dépensait en médicaments 6 000 francs par an. Voir sa lettre à Proust du 26 février 1909 (CP 01944 ; Kolb, IX, n° 19). [PK]
  10. Allusion à la transaction que Proust avait conclue avec le coulissier David Léon à la fin du mois de janvier 1916 sur des actions de North Caucasian Oil Fields. Voir la lettre de Hauser à Proust du 26 janvier 1916 (CP 03072 ; Kolb, XV, n° 8) et celle de Proust à Hauser du [vendredi matin 28 janvier 1916] (CP 03073 ; Kolb, XV, n° 9). [PK]
  11. (Notes de traduction)
  12. (Contributeurs)