CP 03007/en

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Marcel Proust à Nicolas Cottin le 22 octobre 1915

22 octobre 1915

Mon cher Nicolas

Je suis bien en retard pour vous répondre[1]. Si en retard que je craignais que mon mot ne vous trouve plus à Belley[2]. Mais Céline[3] me dit de risquer tout de même. Si je suis si en retard ce n'est pas ma faute. Chagrins et ennuis n'ont pas cessé. Je vous avais parlé de mes jeunes cousins Mayer qui étaient depuis le début sur le front. Le plus jeune a été tué[4] et j'ai dû tâcher d'être un peu auprès de la pauvre mère qui s'attend au même sort pour les autres. D'autre part, ce qu'on ne prévoyait pas, la liquidation de la Bourse qu'on croyait remise après la guerre, quand les valeurs auraient un peu remonté a eu lieu fin septembre[5] . On a dix mois pour payer[6]. Mais pour payer cent cinquante mille francs, encore faut-il trouver quinze mille francs chaque mois et comme dit le proverbe cela ne se trouve pas sous le pas d'un cheval. Heuresement que pour ce qui concerne mon avance sur titres, la liquidation ne joue pas, et le moratorium en retarde le remboursement. Mais le moratorium lui- même peut finir prochainement ! Je suis sûr que en dehors même des conséquences pour vous et nos alliés, vous compatissez aux souffrances inouïes des Serbes[7]. Les massacres de Belgique étaient un jeu d'enfants auprès de ce qui se passe en Serbie. Ce ne sont pas seulement les soldats, mais les civils, tout le monde qui est exterminé. Evidemment, quand il ne restera plus un Serbe en Serbie, les Bulgares auront beau jeu à prétendre qu'il n'y a en Serbie que des populations bulgares qu'ils doivent donc annexer. On frémit en pendant que des êtres humains se livrent sur d'autres êtres humains à une férocité pareille.

J'espère que vous êtes tout à fait guéri[8] et que j'aurai bientôt le plaisir de vous serrer la main. Votre dévoué

Marcel Proust

[9] [10]

Notes

  1. Note 1
  2. Note 2
  3. Note 3
  4. Note 4
  5. Note 5
  6. Note 6
  7. Note 7
  8. Nicolas Cottin souffrait alors d'une pleurésie contractée à la guerre. En mars 1915, dans une lettre à Eugénie Lémel, ancienne femme de chambre de la famille, Proust avait donné de bonnes nouvelles de Nicolas (CP 02924). Et en juillet, il était en fait rassuré que Cottin soit à l'hôpital, donc « à l'abri », écrivant même à Céline : « Nicolas va vite être remis » (CP 02972). Mais Cottin mourra le 4 juillet 1916 à l'hôpital Saint-Antoine à Paris (voir sa fiche militaire ; et la lettre de Proust à Lionel Hauser du 4 juillet 1916, CP 03152 ; Kolb, XV, nº 88). Voir la lettre du Ministère de la Guerre à Céline Cottin, du 1er octobre 1916, au sujet de sa pension de veuve de guerre (vente Collection Marie Claude Mante, Sotheby's Paris, 24 mai 2018, lot 167). Nicolas Cottin sera enterré à Champignol-lez-Mondeville (Aube) où son nom figure sur deux monuments aux morts, inaugurés en 1924, un dans le village et l'autre dans le cimetière. Après la mort de son mari, Céline est retournée vivre dans ce village de sa mère, auquel Proust fait d'ailleurs référence avec humour dans un envoi autographe des Plaisirs et les Jours à Nicolas, jouant sur le nom de ce village, quand Céline s'absentait pour aller voir sa famille, et le nom d'une pièce de théâtre de Feydeau, Champignol malgré lui (CP 02123, Kolb, X, nº 66 ; et Paul Guth, art. cité, p. 4, colonne 5). Le fils de Nicolas et Céline Cottin, Antoine Cottin, s'est d'abord installé à Champignol chez un grand-oncle maternel, Henri Privé, au moins à partir de 1921 (recensement Champignol-lez-Mandeville, nº 176, image 7), puis avec sa mère quand elle l'y rejoint (Céline Cottin figure dans les recensements de Champignol-lez-Mondeville : en 1926, nº 153, avec son fils, nº 154, image 7 ; et en 1931, nº 148, image 6). Céline se remariera dans cette commune, le 11 février 1933, avec Edmond Ferdinand Antoine (né le 27 août 1882. Acte de naissance nº 10, Champignol-lez-Mondeville, 4E07613, en ligne, image 237) qui était vigneron, comme le frère de Céline. Elle mourra cinquante-deux ans après Nicolas Cottin, le 19 janvier 1968, dans une commune voisine, à Bar-sur-Aube (voir l'ajout marginal à son acte de naissance, cité note 3). Sur Céline et Nicolas Cottin à Champignol, voir Carole Legris, « Un couple de Champignol-lez-Mondeville au service de Marcel Proust », L'Est éclair, 27 août 2018. [FP, PW]
  9. (Notes de traduction)
  10. (Contributeurs)