CP 02996/en

From Corr-Proust Wiki
Revision as of 19:23, 26 October 2021 by Jberthelon (talk | contribs) (Replaced content with "<ref name="n12"> Note 12 </ref>")
Jump to navigation Jump to search


Other languages:

Marcel Proust à Antoine Bibesco [vers le 9 septembre 1915]

(Click on the link above to see this letter and its notes in the Corr-Proust digital edition, including all relevant hyperlinks.)

[1]

Cher Antoine

Je te dirai comme les gens disent bêtement : « Cela m'a fait plaisir de voir votre écriture ». Pourtant la tienne (pas tout à fait autant que la mienne pourtant) est affreuse. Mais sa vue m'a ravi. C'est un des mystères de l'amitié.

Je ne vaux (parce que je réunis ce qui est rare deux qualités assez communes la clairvoyance et l'abnégation), que comme entremetteur et comme médecin. Je ne vaux rien comme stratège. D'ailleurs ta question est drôlement posée. Tu me dis : « Jusqu'à quand les Russes reculeront-ils ? ». Cela signifie je suppose « Jusqu'à quand les Allemands avanceront-ils ? ». Cela revient au même, mais ta forme est inattendue. J'aimerais mieux que tu me dises si les Roumains marcheront[2].

Si je n'ose m'aventurer pour l'avenir (sauf comme tout le monde pour la certitude de la victoire finale) je tiens à me justifier pour le passé. Quand tu m'as dit[3] que l'expédition de Courlande [4] était de la part des Allemands une fantaisie excentrique je t'ai répondu[5] que chez un peuple qui a préparé précisément ce qu'il ne prévoyait pas (munitions pour la longueur d'une guerre que seul il croyait courte et il a été le seul à être muni, recul à Lens[6] pour nous en priver et s'en servir alors qu'il ne croyait pas reculer, prise des Dardanelles[7] pour boucher la Russie qu'il croyait vaincue etc.) il ne faut pas croire à la fantaisie désordonnée et que l'expédition de Courlande était, à longue échéance, soit un étau contre l'armée russe ou à défaut contre Varsovie[8], soit un pendant aux Dardanelles (or Bidou qui il y a quinze jours disait[9] que les choses de Riga étaient une démonstration, a fait depuis un admirable article[10] montrant cette symétrie avec les Dardanelles, occlusion de la Russie, imitée de la Guerre de Sécession). Si Emmanuel est auprès de toi dis-lui toute mon affection.

Tout à toi

Marcel

P.S. Je reçois ta seconde lettre.[11] Tu sais bien que j'aurais été très content de connaître Monsieur Morand[12] quand tu me l'as demandé, mais rappelle-toi, il n'était libre, partant pour Londres, qu'à une heure où je craignais d'être souffrant. Tu me ferais bien plaisir en m'envoyant sa lettre[13] car j'ai été si content de le connaître.

Mes plus tendres amitiés à Henri Bardac[14] que j'aime infiniment.

[15] [16]

Notes

  1. Note 1
  2. Note 2
  3. Note 3
  4. Note 4
  5. Note 5
  6. Note 6
  7. Note 7
  8. Note 8
  9. Note 9
  10. Note 10
  11. Note 11
  12. Note 12
  13. Note 13
  14. Note 14
  15. Translation notes:
  16. Contributors: