CP 02970: Difference between revisions

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Cher Marcel,
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Je ne crois pas devoir vous contredire, quand vous m’écrivez : « chacun aura ses préférences. »<ref name="n2" />
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Je ne sais pas à quoi mes « Offrandes » sont égales ; mais je commence à croire qu’elles sont égales entre elles, puisque chacun me dit, en effet, en aimer une qui n’est pas celle dont l’autre m’avait parlé. N’est-ce pas quelque chose comme une justification d’elles toutes ?
Je ne sais pas à quoi mes « Offrandes » sont égales ; mais je commence à croire qu’elles sont égales entre elles, puisque chacun me dit, en effet, en aimer une qui n’est pas celle dont l’autre m’avait parlé. N’est-ce pas quelque chose comme une justification d’elles toutes ?


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Alors, je n’en retranche qu’une, je la remplace, j’en ajoute douze, et le volume reparaît<ref name="n3" /> ainsi, porté, comme je l’ai voulu, à deux cents pièces, par cet apport.
Alors, je n’en retranche qu’une, je la remplace, j’en ajoute douze, et le volume reparaît<ref name="n3" /> ainsi, porté, comme je l’ai voulu, à deux cents pièces, par cet apport.


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Mais la source n’est pas tarie, et j’en composerai encore pour ceux qui les aiment.
Mais la source n’est pas tarie, et j’en composerai encore pour ceux qui les aiment.


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Je ne crois pas à votre visite, non que j’en dise, comme Madame Valmore :
Je ne crois pas à votre visite, non que j’en dise, comme Madame Valmore :


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Pour être le bonheur, je l’ai trop attendu ...<ref name="n4" />
Pour être le bonheur, je l’ai trop attendu ...<ref name="n4" />


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Mais, si longtemps différée, elle prendrait, aujourd’hui, les proportions d’un « signe dans le ciel » ; il y en a beaucoup déjà<ref name="n5" />.
Mais, si longtemps différée, elle prendrait, aujourd’hui, les proportions d’un « signe dans le ciel » ; il y en a beaucoup déjà<ref name="n5" />.


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Cependant, j’approuve la volonté de croire probable, même prochain, ce qui ne doit pas être, même quand on sait cela ; c’est la seule façon de tolérer que la vie se permette de finir sans consulter, et de s’achever sans prévenir.
Cependant, j’approuve la volonté de croire probable, même prochain, ce qui ne doit pas être, même quand on sait cela ; c’est la seule façon de tolérer que la vie se permette de finir sans consulter, et de s’achever sans prévenir.


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Nous ne sommes, hélas ! pas « gens de revue », comme disent ceux que l’on n’aurait pas toujours choisis pour leur assurer ce brevet.
Nous ne sommes, hélas ! pas « gens de revue », comme disent ceux que l’on n’aurait pas toujours choisis pour leur assurer ce brevet.


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Je vous ai souvent proposé d’aller vous voir<ref name="n6" /> ; vous n’avez jamais paru l’entendre.
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De même pour le volume,<ref name="n7" /> que je vous ai offert d’envoyer chercher<ref name="n8" />.
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Lorsqu’on tient aux choses, il ne faut pas faire crédit à l’existence de leur laisser le temps d’advenir ; il faut répéter, comme dans l’histoire de Stevens : « Si vous mouriez, cette nuit ! <ref name="n9" /> »
Lorsqu’on tient aux choses, il ne faut pas faire crédit à l’existence de leur laisser le temps d’advenir ; il faut répéter, comme dans l’histoire de Stevens : « Si vous mouriez, cette nuit ! <ref name="n9" /> »


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Il y a, entre nous, désormais, un mur de glace. Il contient, retient, maintient des fleurs colorées et fraîches ; on les voit, mais sans les atteindre<ref name="n10" />.
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Robert de Montesquiou.
Robert de Montesquiou.


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1915.


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<ref name="n1"> Réponse à la lettre 02969, qui peut être datée du [début de juillet 1915]. Voir aussi n3. [PK, FP] </ref>
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<ref name="n2"> Proust avait écrit : « Chacun aura ses préférées dans vos Offrandes […] ». [PK, FP] </ref>
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<ref name="n3"> Une « nouvelle édition revue et augmentée » des Offrandes blessées porte l'achevé d'imprimer du 13 juillet 1915. [PK, FP] </ref>
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<ref name="n4"> Citation approximative du vers : « Pour qu'il soit le bonheur, je l'ai trop attendu. » (Marceline Desbordes-Valmore, « Le Message », Poésies, t. II, Paris, A. Boulland, 1830, p. 198.). [PK, FP] </ref>
<ref name="n4"> Citation approximative du vers : « Pour qu'il soit le bonheur, je l'ai trop attendu. » (Marceline Desbordes-Valmore, « Le Message », Poésies, t. II, Paris, A. Boulland, 1830, p. 198.). [PK, FP] </ref>


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<ref name="n5"> Allusion probable aux zeppelins et aéroplanes allemands jetant des bombes sur Paris au printemps 1915. Voir par exemple « Un taube sur Paris », Le Figaro, 23 mai 1915, p. 1. [PK, FP] </ref>
<ref name="n5"> Allusion probable aux zeppelins et aéroplanes allemands jetant des bombes sur Paris au printemps 1915. Voir par exemple « Un taube sur Paris », Le Figaro, 23 mai 1915, p. 1. [PK, FP] </ref>


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<ref name="n6"> Aucune lettre de 1914 ou 1915 où Montesquiou propose de faire une visite à Proust n'a été retrouvée. Mais il est question dans leurs échanges, dès avant la guerre, de l'intention de Proust, en effet toujours « différée », de faire une visite à son correspondant, notamment en janvier 1914 (CP 02661 et CP 02662 ; Kolb, XIII, nº 9 et nº 10). [FP] </ref>
<ref name="n6"> Aucune lettre de 1914 ou 1915 où Montesquiou propose de faire une visite à Proust n'a été retrouvée. Mais il est question dans leurs échanges, dès avant la guerre, de l'intention de Proust, en effet toujours « différée », de faire une visite à son correspondant, notamment en janvier 1914 (CP 02661 et CP 02662 ; Kolb, XIII, nº 9 et nº 10). [FP] </ref>


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<ref name="n7"> Voir la note 4 de la lettre 02969 à laquelle celle-ci répond. [PK, FP] </ref>


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<ref name="n9"> Citation approximative d'un scène où Jean-Christophe dit à son ami Olivier Jeannin, lequel est épris de Colette Stevens : « Vous tablez trop sur les siècles. Préparez-vous […] Car vous ne savez pas si le Seigneur ne passera point devant la porte, cette nuit ». (Romain Rolland, Jean-Christophe à Paris : Dans la maison, Paris, Ollendorff, 1909, p. 231-232.) [PK, FP] </ref>
<ref name="n9"> Citation approximative d'un scène où Jean-Christophe dit à son ami Olivier Jeannin, lequel est épris de Colette Stevens : « Vous tablez trop sur les siècles. Préparez-vous […] Car vous ne savez pas si le Seigneur ne passera point devant la porte, cette nuit ». (Romain Rolland, Jean-Christophe à Paris : Dans la maison, Paris, Ollendorff, 1909, p. 231-232.) [PK, FP] </ref>


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<ref name="n10"> Montesquiou remanie ici une image déjà employée dans une lettre de janvier 1914 : « votre souvenir me reste, comme un bouquet pris dans les glaces […] » (CP 02661 ; Kolb, XIII, p. 44). [FP] </ref>
<ref name="n10"> Montesquiou remanie ici une image déjà employée dans une lettre de janvier 1914 : « votre souvenir me reste, comme un bouquet pris dans les glaces […] » (CP 02661 ; Kolb, XIII, p. 44). [FP] </ref>


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Revision as of 11:53, 10 December 2020

Other languages:

Robert de Montesquiou-Fezensac à Marcel Proust [début de juillet 1915]

[1]

Cher Marcel,

Je ne crois pas devoir vous contredire, quand vous m’écrivez : « chacun aura ses préférences. »[2]

Je ne sais pas à quoi mes « Offrandes » sont égales ; mais je commence à croire qu’elles sont égales entre elles, puisque chacun me dit, en effet, en aimer une qui n’est pas celle dont l’autre m’avait parlé. N’est-ce pas quelque chose comme une justification d’elles toutes ?

Alors, je n’en retranche qu’une, je la remplace, j’en ajoute douze, et le volume reparaît[3] ainsi, porté, comme je l’ai voulu, à deux cents pièces, par cet apport.

Mais la source n’est pas tarie, et j’en composerai encore pour ceux qui les aiment.

Je ne crois pas à votre visite, non que j’en dise, comme Madame Valmore :

Pour être le bonheur, je l’ai trop attendu ...[4]

Mais, si longtemps différée, elle prendrait, aujourd’hui, les proportions d’un « signe dans le ciel » ; il y en a beaucoup déjà[5].

Cependant, j’approuve la volonté de croire probable, même prochain, ce qui ne doit pas être, même quand on sait cela ; c’est la seule façon de tolérer que la vie se permette de finir sans consulter, et de s’achever sans prévenir.

Nous ne sommes, hélas ! pas « gens de revue », comme disent ceux que l’on n’aurait pas toujours choisis pour leur assurer ce brevet.

Je vous ai souvent proposé d’aller vous voir[6] ; vous n’avez jamais paru l’entendre.

De même pour le volume,[7] que je vous ai offert d’envoyer chercher[8].

Lorsqu’on tient aux choses, il ne faut pas faire crédit à l’existence de leur laisser le temps d’advenir ; il faut répéter, comme dans l’histoire de Stevens : « Si vous mouriez, cette nuit ! [9] »

Il y a, entre nous, désormais, un mur de glace. Il contient, retient, maintient des fleurs colorées et fraîches ; on les voit, mais sans les atteindre[10].

Robert de Montesquiou.

1915.

[11]

Notes

  1. Réponse à la lettre 02969, qui peut être datée du [début de juillet 1915]. Voir aussi n3. [PK, FP]
  2. Proust avait écrit : « Chacun aura ses préférées dans vos Offrandes […] ». [PK, FP]
  3. Une « nouvelle édition revue et augmentée » des Offrandes blessées porte l'achevé d'imprimer du 13 juillet 1915. [PK, FP]
  4. Citation approximative du vers : « Pour qu'il soit le bonheur, je l'ai trop attendu. » (Marceline Desbordes-Valmore, « Le Message », Poésies, t. II, Paris, A. Boulland, 1830, p. 198.). [PK, FP]
  5. Allusion probable aux zeppelins et aéroplanes allemands jetant des bombes sur Paris au printemps 1915. Voir par exemple « Un taube sur Paris », Le Figaro, 23 mai 1915, p. 1. [PK, FP]
  6. Aucune lettre de 1914 ou 1915 où Montesquiou propose de faire une visite à Proust n'a été retrouvée. Mais il est question dans leurs échanges, dès avant la guerre, de l'intention de Proust, en effet toujours « différée », de faire une visite à son correspondant, notamment en janvier 1914 (CP 02661 et CP 02662 ; Kolb, XIII, nº 9 et nº 10). [FP]
  7. Voir la note 4 de la lettre 02969 à laquelle celle-ci répond. [PK, FP]
  8. Cette lettre n'a pas été retrouvée. [FP]
  9. Citation approximative d'un scène où Jean-Christophe dit à son ami Olivier Jeannin, lequel est épris de Colette Stevens : « Vous tablez trop sur les siècles. Préparez-vous […] Car vous ne savez pas si le Seigneur ne passera point devant la porte, cette nuit ». (Romain Rolland, Jean-Christophe à Paris : Dans la maison, Paris, Ollendorff, 1909, p. 231-232.) [PK, FP]
  10. Montesquiou remanie ici une image déjà employée dans une lettre de janvier 1914 : « votre souvenir me reste, comme un bouquet pris dans les glaces […] » (CP 02661 ; Kolb, XIII, p. 44). [FP]
  11. (Notes de traduction)