CP 02969

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Marcel Proust à Robert de Montesquiou-Fezensac [début de juillet 1915]

(Cliquez le lien ci-dessus pour consulter cette lettre et ses notes dans l’édition numérique Corr-Proust, avec tous les hyperliens pertinents.)

[1]

102 boulevard Haussmann

Cher Monsieur

Depuis que j'ai reçu les Offrandes blessées[2], tous les jours j'espère être assez bien le lendemain pour aller vous en parler et vous dire mon admiration. Plus le temps passe, moins je veux me contenter d'une lettre. Mais voici que je suis à nouveau convoqué[3] par l'autorité militaire ; jusqu'à ce qu'elle ait réglé dans un sens ou dans un autre ma situation, je sais que je vais être pendant quelques jours, peut-être quelques semaines, incertain de mes instants. Aussi je vous écris ces quelques mots seulement pour vous dire comme j'avais envie de venir et que je viendrai bientôt, (avec la Divine Comtesse pour la dédicace promise)[4].

Enfin, grâce à vous, ont coïncidé l'Art et la Guerre ! On nous parle de la Poésie qu'enfantera la Guerre et je n'y crois pas trop. En tous cas celle qui s'était révélée jusqu'ici était par trop inégale à la Réalité. Je pense que c'est un peu en vous-même, dans ce reflet atavique pareil à celui qui vous mirait dans les bassins de Versailles, que vous avez « lu dans les pensées »[5] (pour reprendre l'expression des Perles rouges), de nos modernes Artagnan, de nos Louvois contemporains. Chacun aura ses préférées dans vos Offrandes, comme il les eut dans les « Prières », c'est-à-dire qu'il les aura successivement toutes, puis reviendra à telle qu'il élira particulièrement. Ce fut la prière du nègre, du coiffeur, du cocher, du comédien, du serviteur. Ce seront l'Offrande agraire, l'offrande stratégique, l'offrande triplée, l'offrande artiste. Je ne comprends pas pouquoi vous dites que nous avons trop aimé Wagner[6]. Mais je trouve admirable la justification de l'art, plus évidente que jamais « quand la Vertu devient la Vérité »[7]. Que de fois au cours de ce livre la Vérité s'exprime avec cette beauté et cette force. C'est ce qu'ira bientôt vous dire

votre ami respectueux et reconnaissant

Marcel Proust

[8] [9]

Notes

  1. Les allusions au livre reçu (voir la note 2) et à une nouvelle convocation militaire (voir la note 3) permettent de dater cette lettre du [début de juillet 1915]. [PK]
  2. Proust a dû recevoir ce livre vers le 5 juin 1915, ou peu après : voir sa lettre à Mme Catusse de [peu après le 5 juin 1915] (CP 02960 ; Kolb, XIV, nº 71). [PK, FP]
  3. Allusion probable à la convocation qu'avait reçue Proust pour le 7 juillet 1915 (CP 05642). [PK, FP]
  4. Proust avait solicité en [janvier 1914] la signature de Montesquiou sur son exemplaire de La Divine Comtesse (CP 02662 ; Kolb, XIII, nº 10). [PK, FP]
  5. Citation approximative du vers « À travers mon esprit, rentrer dans leurs pensées ». [PK, FP]
  6. Citation approximative du vers « Le dieu que nous avons trop prié, c'est Wagner » (« Offrande mélodique », Les Offrandes blessées, 1915, p. 97). Proust critique souvent, à cette époque, le chauvinisme des chroniqueurs de guerre envers les artistes allemands. Voir par exemple sa lettre du [11 avril 1915] (CP 02932 ; Kolb, XIV, nº 43), où il félicite Paul Souday d'avoir défendu Wagner. [PK, FP]
  7. Citation approximative du vers « Qu'à l'heure où la Vertu devient la Vérité » (« Offrande dissidente », Les Offrandes blessées, 1915, p. 207). [PK, FP]
  8. (Notes de traduction)
  9. (Contributeurs)