CP 02906: Difference between revisions

From Corr-Proust Wiki
Jump to navigation Jump to search
(Marked this version for translation)
m (Protected "CP 02906" ([Edit=Allow only administrators] (indefinite) [Move=Allow only administrators] (indefinite)))
(One intermediate revision by the same user not shown)
Line 76: Line 76:


</translate>
</translate>
[[Category:Untranslated Letters]]

Revision as of 13:56, 21 January 2022


Other languages:

Marcel Proust à Madame Catusse [premiers jours de février 1915]

(Cliquez le lien ci-dessus pour consulter cette lettre et ses notes dans l’édition numérique Corr-Proust, avec tous les hyperliens pertinents.)

[1]

Chère Madame

Mon médecin vient de perdre sa femme dans des circonstances affreuses[2]. Aussi comme vous me dites ne plus avoir besoin de renseignements sur le Docteur M. [3], que par curiosité rétrospective, si vous ne me donnez pas d'ordres différents, j'attendrai un peu pour lui écrire. Mais j'ai écrit il y a quelques jours à Robert à ce sujet[4]. J'espère qu'il me répondra quoiqu'il soit en ce moment terriblement occupé, et qu'aussi il ne soit plus paraît-il à l'ambulance de Salvange[5] où j'avais adressé la lettre. Mais j'espère qu'on la fera suivre.

Je vous remercie infiniment pour Nice, mais hélas il y a bien longtemps que j'ai cessé d'être « invitable ». Mes fumigations incessantes etc. ne me permettent pas d'habiter chez des amis, ou du moins si incommodément pour eux que ce serait par choc en retour un supplice pour moi. Il y a deux ans les Clermont-Tonnerre avaient « neutralisé » toute une partie de Glisolles pour que je puisse y être « chez moi » [6] et je n'ai pu m'y décider. Ce qui serait plus possible, ce serait, si vous restez à Nice[7] et si je ne suis pas mobilisé, que j'y loue quelque chose. Si le climat me réussissait, peut-être aurais-je la chance d'être un peu moins cloîtré qu'à Paris, et alors je pourrais profiter d'être dans la même ville que vous. Sans cela, cela ne me servira à rien car ce sera comme à Paris. Du reste, il me semble que pour Nice, à cause de la fièvre des foins, c'est déjà un peu tard. Si j'y allais, ce serait avec le secret espoir de pouvoir y vivre tout à fait, au moins pendant un an. Or je crois que cela serait mieux de faire l'essai vers septembre, quand j'aurais un long temps d'acclimatement avant le printemps.

Si vous pouvez par un mot me donner des nouvelles de Charles, vous me ferez bien plaisir. J'aimerais aussi savoir ce que vous pensez de la guerre. J'entends parler de trois ans. Est-ce vraiment possible ? J'avoue que Charles est une des raisons, mais non la seule, pour quoi une pareille durée de la guerre m'épouvanterait. À moins qu'il n'ait la sagesse de ne pas repartir. Et vraiment, ne trouvez-vous pas, ne trouve-t-il pas que c'est impossible qu'il reparte ? Quand j'ai lu l'autre jour le sort de ces malheureux chasseurs alpins sur l'Hartmannswillerkopf[8], j'ai eu un terrible serrement de cœur en pensant que Charles aurait pu y être, et j'ai béni les petites complications de sa blessure.

Votre respectueux ami

Marcel Proust

Gautier-Vignal est plutôt, comment dirais-je, un ami de mon livre que de moi. Vous me comprendriez très mal si vous croyiez que j'entends renier en quoi que ce soit un être qui me semble tout à fait délicat, sympathique, et qui a été si gentil (et est remarquablement intelligent). Mais je veux dire que je le connais peu, depuis peu de temps[9]. Cela n'empêche pas que nous ne soyions fort en sympathie, j'ai eu en lui le lecteur le plus assidu et le plus compréhensif et il a été à plusieurs reprises serviable et charmant pour moi. Il est bien souffrant, lui aussi.


[10] [11]

Notes

  1. La mention de la mort de Madame Bize situe cette lettre après le mois de décembre 1914 (voir la note 2) et la crainte des pollens à Nice avant le début du printemps de 1915. L'allusion au « sort de ces malheureux chasseurs alpins sur l'H.Kopf » dont Proust a lu le récit « l'autre jour » (voir la note 8) semble la situer plus précisément vers les premiers jours de février 1915. [PK, FL]
  2. Il s'agit de l'épouse du Dr Bize, décédée le 17 décembre 1914, dont Proust disait dans une lettre à Reynaldo Hahn [peu après le 24 octobre 1914] (CP 02831 ; Kolb, XIII, n° 180) qu'elle avait l'air bien malade. Nous n'avons pas pu identifier les « circonstances affreuses » auxquelles Proust fait ici allusion. [PK, FL]
  3. Dans une lettre à Proust (non retrouvée) datant probalement de la seconde moitié du mois d'octobre 1914, Mme Catusse lui avait demandé des « tuyaux » sur un médecin dont Proust n'avait pas réussi à lire le nom avec certitude (Meslier ?), comme il l'indiquait dans sa réponse (voir CP 02845 ; Kolb, XIII, n° 194). Dans la lettre (non retrouvée non plus) à laquelle Proust répond ici, Mme Catusse a dû lui indiquer le nom plus lisiblement, sans quoi Proust ne pourrait pas envisager de se renseigner ultérieurement auprès du Dr Bize. Ce sujet n'étant pas revenu par la suite dans leurs échanges épistolaires, nous ne savons de quel médecin il s'agit. Peut-être Mme Catusse souhaitait-elle se renseigner sur un médecin de l'hôpital militaire de Montluçon où son fils Charles avait été soigné en octobre 1914 ? — Au sujet des soins reçus par Charles Catusse à Montluçon, voir la lettre à Mme Catusse du [17 octobre 1914] (CP 02827 ; Kolb, XIII, n° 176). [FL]
  4. Lettre non retrouvée. [PK]
  5. Le château de Salvange, situé près de Rarécourt (département de la Meuse) à vingt-cinq kilomètres au sud-ouest de Verdun, en Argonne, abrita l'ambulance n° 5/55 du 10 décembre 1914 au 26 juin 1916 (voir le site Histoire des hôpitaux militaires et du service de santé durant les deux guerres mondiales, section « Ambulances 1914-1918 », lettre R). La fiche de Robert Proust dans le registre des matricules militaires n'indique pas avec précision ses diverses affectations entre l'hiver 1914-15 et le 11 mai 1915, date à laquelle il prendra la direction de la première ambulance auto chirurgicale, dans la région d'Arras. La mention de son affectation comme « chirurgien détaché à l'ambulance 4/55 » à partir de novembre 1914 n'indique pas de localisation précise ; la présente lettre de Proust à Mme Catusse suggère qu'il n'est pas resté jusqu'en mai 1915 à l'ambulance de Salvange. (Le numéro d'ambulance 4/55 porté sur sa fiche militaire ne correspond d'ailleurs pas à celui de l'ambulance de Salvange, n° 5/55 : peut-être n'y est-il resté que peu de temps.) [PK, FL]
  6. Nous ne connaissons pas de lettres que Proust aurait échangées avec le duc et la duchesse de Clermont-Tonnerre à ce sujet. — À Glisolles (bourgade située à 13 km d'Évreux), ils possédaient un vaste château (construit au XVIIIe siècle) et un petit chalet moderne. Proust y avait fait une brève visite lors son retour de Cabourg, en 1907 (voir sa lettre de remerciement du [début octobre 1907] : CP 01707 ; Kolb, VII, n° 154, où les « claires boiseries norvégiennes » font probablement référence au chalet, mais les « vieilles toiles françaises » évoquent plutôt une visite au château). L'expression « toute une partie de Glisolles » ne peut désigner qu'une aile ou un étage du château, qui aurait été mis à la disposition de Proust. [PK, FL]
  7. Le Figaro du 31 décembre 1914, p. 4, dans sa rubrique « Déplacements et Villégiatures » signale l'arrivée de Madame Catusse à Nice. [PK]
  8. Proust semble faire ici allusion à un article paru dans Le Figaro du 31 janvier 1915, p. 3, sous le titre de « L'affaire de l'Hartmannswillerkopf ». On peut y lire : « Ce n'est qu'un épisode de guerre. Mais c'est un épisode magnifique. Nous avions, au sommet de l'Hartmannswillerkopf, une grande avant-garde qui a été, le 19 janvier, très violemment attaquée par des forces importantes. Nous avions voulu la dégager. La chose était malaisée. Les pentes, dans ce coin des Vosges, sont un chaos de rochers. [...] Il neigeait. La brume empêchait de voir à dix mètres. Comme il s'agissait de sauver des camarades, nos officiers et nos soldats n'ont pas hésité. [...] » Suit le récit de leur pénible ascension, l'espoir de sauver leurs camarades s'amenuisant mais leur volonté de reprendre le sommet demeurant intacte. — Les combats pour reprendre le sommet de l'Hartmannswillerkopf durèrent de janvier à juin 1915, et la guerre de positions qui en résulta (chaque armée occupant une partie de cette hauteur) ne devait se terminer qu'en 1918. [PK]
  9. C'est Lucien Daudet qui avait présenté Louis Gautier-Vignal à Proust en juin 1914. Dans sa lettre du [7 septembre 1914], Proust demandait à Mme Catusse si elle connaissait ce jeune homme qui, lui aussi, résidait à Nice (voir CP 02823 ; Kolb, XIII, n° 172). Mme Catusse a dû se renseigner et, dans sa réponse (non retrouvée), faire part d'une piètre estime à l'égard de cette famille dont la notabilité était fort récente. Originaire de Nice, Albert Gautier (dit Gautier-Vignal), père du jeune homme, avait été fait comte par le pape Léon XIII en 1895, et était consul général de Roumanie à Nice. Il était notamment président ou vice-président de plusieurs sociétés sportives niçoises. Louis Gautier-Vignal lui-même avait été l'élève de Roland Garros. Répondant au renseignement fourni par Mme Catusse (dans une lettre qui ne nous est pas parvenue), Proust a sans doute admis qu'il ne connaissait ni ne fréquentait cette famille, source du malentendu qu'il essaie ici de lever. [PK, FL]
  10. (Notes de traduction)
  11. (Contributeurs)