CP 02844: Difference between revisions

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Marcel Proust à Lucien Daudet [le lundi soir 16 novembre 1914, ou peu après]

(Cliquez le lien ci-dessus pour consulter cette lettre et ses notes dans l’édition numérique Corr-Proust, avec tous les hyperliens pertinents.)

[1]

Mon cher petit,

Si ce n'était pas une telle joie — autant qu'on peut en avoir en ce moment —, de recevoir une pareille lettre, et de quelqu'un à qui je n'ai cessé un jour de penser avec une tendresse sans cesse grandissante, quel repos déjà de lire ces pages où il n'y a ni « Boche », ni « leur Kultur », ni « pleurer comme un gosse », ni « sœurette », ni tout le reste. Toutes choses du reste qu'on supporte bien facilement tant on souffre en pensant au martyre des soldats et des officiers, et tant on est ému de leur sacrifice.

Mais tout de même la presse, et notamment le Figaro[2], aurait une meilleure tenue que la victoire n'en serait que plus belle.

Frédéric Masson, dont j'ai souvent goûté le style vieux grognard autrefois, incarne vraiment trop en ce moment la « culture » française. S'il est sincère en trouvant les Maîtres Chanteurs ineptes et imposés par le snobisme, il est plus à plaindre que ceux qu'il déclare atteints de « wagnerite » [3]. Si au lieu d'avoir la guerre avec l'Allemagne nous l'avions eue avec la Russie, qu'aurait-on dit de Tolstoï et de Dostoïewski ? Seulement, comme la littérature contemporaine allemande est tellement stupide qu'on ne peut même pas retrouver un nom et un titre que seuls les critiques des « Lectures étrangères » nous apprennent de temps en temps pour que nous les oubliions aussitôt, aussi ne trouvant où se prendre, on se rabat sur Wagner[4].

Mon cher petit, je ne sais pas pourquoi je vous parle de cela et aussi stupidement, car par la brièveté, je fausse entièrement ma pensée qui n'est pas celle que vous allez croire. Enfin, mon cher petit, avant tout ceci, vous ne m'avez pas écrit depuis deux mois, depuis la guerre, mais vraiment il n'y a pas encore eu un jour où je n'ai passé des heures avec vous. Mon cher petit, vous ne sauriez croire comme mon affection actuelle bouturée sur celle d'autrefois a pris une puissance nouvelle ; mais je suis sûr que vous ne me croyez pas. Enfin, vous le verrez.

Mon cher petit, j'ai su un mois après que votre beau-frère avait eu un accident d'automobile, je n'ai nullement su que Léon y était et avait été gravement blessé. Pouvez-vous croire que je ne vous aurais pas écrit ! Et vous, vous étiez donc aussi dans la voiture ? (puisque vous dites : j'avais Léon blessé à côté de moi). Je suis rétrospectivement bien ému d'apprendre cela[5]. Je vais écrire à votre frère. J'allais d'ailleurs le faire pour lui dire mon admiration. La guerre a hélas vérifié, consacré et immortalisé l'« Avant-guerre » [6]. Depuis Balzac, on n'avait jamais vu un homme d'imagination découvrir avec cette force une loi sociale (dans le sens ou Newton (?) a découvert la loi de la gravitation[7]). Oui, j'allais lui écrire pour cela et je ne lui aurais pas parlé de l'accident ! J'espère que si sa prophétie ne fut pas écoutée, nous saurons « appliquer » sa découverte et pratiquer, nous, l'Après-guerre. Mais je ne pense pas (et je pense que c'est aussi l'avis de votre frère quoique je n'aie pas lu ses articles) qu'elle doive consister à nous rendre inférieurs, à priver je ne dis pas nos musiciens, mais nos écrivains de la prodigieuse fécondation que c'est d'entendre Tristan, et la Tétralogie, comme Péladan qui ne veut plus qu'on apprenne l'allemand[8] (que le général Pau et le général Joffre[9], heureusement, possèdent à fond).

Mon cher petit, moi aussi j'ai été tourmenté pour mon frère, son hôpital à Étain a été bombardé pendant qu'il opérait, les obus crevant sa table d'opération. Il a été du reste cité à l'ordre du jour, pas pour cela, mais pour tant d'autres choses courageuses qu'il ne cesse de faire[10]. Malheureusement, il va au-devant des plus grands dangers, et jusqu'à la fin de la guerre je ne sais ce que le lendemain m'apportera comme nouvelles.

Moi je vais passer un conseil de révision et je serai probablement pris, car on prend tout le monde. Du reste j'ai été stupide car je n'avais pas à me faire inscrire, ayant été rayé des cadres comme officier[11] et ces Conseils n'étaient que pour les soldats, à ce que m'a dit Clément de Maugny[12] qui, passant par Paris, m'a vu un soir[13] ; très gentil, ayant beaucoup gagné, sans doute sous l'influence de sa femme. Il m'a parlé très gentiment de vous et avec une grande admiration de votre dernier livre[14]. Je dois dire qu'il m'a paru infiniment moins enthousiaste de Swann ! Et même que nous sommes enfoncés tous les deux par un livre de quelqu'un qui le touche de près et intéressant surtout, paraît-il, parce qu'il y est question de « gens que nous connaissons » [15]. Lui-même, [Maugny] [16] a fait un livre (je crois historique[17]) et m'a parlé de « bons à tirer » (?). Je ne sais pas bien ce que c'est. À côté de cela très « va-te-faire-fiche », « le Général a dit : qu'on m'envoie [Maugny] [18] », et aussi d'une simplicité pleine de grâce vraiment, et qui a frappé même ma femme de chambre (qui est aussi cuisinière, valet de chambre, etc.), laquelle m'a dit : « Quelle simplicité pour un vicomte[19] ! »

Mon cher petit, jusqu'à mon conseil de révision, je me soignerai, pour pouvoir y aller. Mais tout de même si vous venez à Paris, je pourrai vous recevoir (mais je ne me lève pas). Après, encore plus facilement si je ne suis pas « pris ». Mais je le serai.

Mon cher petit, tout ce que j'aurais à vous dire exigerait des volumes et j'ai voulu vous répondre tout de suite pour ne pas me laisser « décimer » par cet élan vers vous si j'y résistais. J'espère que vous n'avez pas trop d'amis parmi les « Morts au champ d'honneur », mais on aime même ceux qu'on ne connaît pas, on pleure même les inconnus.

Et à ce propos, mon cher petit, j'ai été bien stupéfait de quelque chose qu'on m'a dit : peu renseigné sur la grandeur réelle et l'éclat fixe des étoiles nouvelles qui resplendissent depuis quelque temps, je croyais devoir un très grand respect à M. [Z...] [20] dont je n'ai jamais rien lu, mais qu'on m'avait dit génial. Or, on m'a cité de lui ces propos tenus l'autre jour, qui m'ont fait vomir et que je ne puis croire exacts. Je vous transcris d'autant plus littéralement qu'il s'agit de personnes que je ne connais pas et dont je n'aurais pu inventer les noms, et encore moins les prénoms : « Oui, cette guerre ! Enfin du moins elle aura eu ce résultat de réconcilier Célimène et Alceste (le comte et la comtesse de [X.], née [***]). Oronte m'a dit de vous dire que Valère s'était très bien conduit (ces prénoms désignent n'est-ce pas M. [de A...] et le jeune duc [de B...]). Ce que je ne peux pas supporter, c'est quand j'apprends la mort de quelqu'un de bien (c'est-à-dire de chic). Ah ! oui apprendre qu'un [***] a été tué, pour moi c'est un coup terrible. » Est-ce vraiment possible ! Je n'aurais pas cru M. [Y...] ou tel autre bouffon capable, je ne dis pas de parler, mais de penser ainsi, mais un écrivain, un philosophe ! […] J'espère que tout cela est faux. Je ne renie rien […] et je crois que les « gens bien » sont quelquefois très bien. Mais leur mort ne peut pas me faire plus de peine que celle des autres. Et le hasard de mes amitiés fait qu'elle m'en a causé jusqu'ici beaucoup moins.

Quant aux morts de la guerre, ils sont admirables, et tellement autrement qu'on ne dit. Tout ce qu'on a écrit sur le pauvre Psichari que je ne connaissais pas, mais dont on m'a tant parlé, est si faux[21]. Du reste à part un ou deux, les littérateurs qui en ce moment croient « servir » en écrivant, parlent bien mal de tout cela. (Il y a des exceptions, avez-vous lu « Les trois Croix » de Daniel Halévy, dans les Débats[22], journal où, entre parenthèses, il y a tous les jours un article de je ne sais pas qui, intitulé « La situation militaire », qui est remarquable et clair).

Du reste tous ces hommes importants sont ignorants comme des enfants. Je ne sais si vous avez lu un article du Général Zurlinden sur l'origine du mot boche, qui selon lui, remonte au mois de Septembre dernier quand nos soldats etc[23]. Il faut que lui aussi n'ait jamais causé qu'avec des gens « bien ». Sans cela il saurait comme moi que les domestiques, les gens du peuple ont toujours dit : « une tête de boche » « c'est un sale boche ». Je dois dire que de leur part c'est souvent assez drôle (comme dans l'admirable récit du mécanicien de Paulhan[24]). Mais quand des académiciens disent « Boches » avec un faux entrain pour s'adresser au peuple comme les grandes personnes qui zézaient quand elles parlent aux enfants (Donnay, Capus, Hanotaux[25] etc. [26]) c'est crispant.

Mon cher petit la fatigue me paralyse et je n'ai plus la force de vous donner des nouvelles de Reynaldo. Il était à Melun et ayant demandé à partir dans l'Est, a été envoyé à Albi d'où il va cependant hélas, partir pour « les tranchées » […] Je ne puis vous dire, depuis le commencement de cette guerre, toutes les preuves de noblesse morale qu'il a données. Je ne dis pas spécialement au point de vue de la guerre, mais même par ricochet […] Vraiment Reynaldo est un roc de bonté sur lequel on peut bâtir et demeurer. Et de bonté vraie. Il est vrai par-dessus tout […][27] la souffrance. Et je ne sais pourquoi je cite plutôt cet exemple. Si vous désirez lui écrire, il vaudrait mieux plutôt qu'à son régiment, lui écrire Hôtel du Vigan Albi Tarn. Vous lui ferez sûrement grand plaisir car il a pour vous des sentiments tout particuliers et vous cite à tout propos et ne vous compare jamais que pour vous préférer.

Mon cher petit mettez mes respectueux hommages aux pieds de Madame Votre Mère et de Madame Votre Sœur, je vais écrire à votre frère. Mille tendresses de votre

Marcel

P.S. Hôtel Brunswick me semble un peu « boche »[28]. Il est vrai que Béranger[29] neutralise.

« Odile[30] » est aussi très « Jumilhac[31] » comme dirait M. Corpechot[32], et aussi très Barrès[33], et surtout doit être bien gentil étant votre nièce[34].

[35] [36]

Notes

  1. La mention d'un article de Daniel Halévy paru dans le Journal des Débats du 17 novembre 1914 (journal du soir) permet de dater cette lettre du lundi soir 16 novembre 1914, ou peu après. [PK, FL, CSz]
  2. Titre supprimé par Lucien Daudet dans la première édition, restitué d'après la notice du catalogue de vente Christie's. [CSz]
  3. Frédéric Masson, dans un article intitulé « L'art sans patrie » paru en première page de L'Écho de Paris du 27 septembre 1914, parlait ainsi de Richard Wagner : « Les Parisiens, insultés par cet homme pour n'avoir pas suffisamment applaudi sa musique, traînés dans la boue par lui, ont couvert de leurs bravos cette misérable rapsodie [sic], les Maîtres Chanteurs, où ils n'ont pas su même voir le pamphlet dirigé contre eux […]. » Dans un article paru le 12 octobre suivant, dans le même journal, sous le titre « La Drogue », il affirmait : « […] le wagnérisme étant l'expression complète de la culture allemande, les Français atteints de wagnérite se livrent volontairement à l'Allemagne. » Frédéric Masson, historien spécialiste du Ier Empire membre de l'Académie française depuis 1903, collaborait à La Presse, à la Revue de Paris, à L'Écho de Paris. [PK]
  4. Proust, comme beaucoup de ses contemporains, ignorait la production littéraire allemande de l'époque, sans doute à cause de la guerre de 1870-1871. [PK]
  5. Une note de Lucien Daudet précise : « Dans la nuit de la mobilisation, la voiture qui nous conduisait tous les trois de Paris à La Roche avait été démolie par une voiture venant en sens inverse. » Mme Daudet, dans son Journal de famille et de guerre 1914-1919 (Paris, Fasquelle, 1920), p. 7, raconte comment elle reçut, le dimanche 2 août 1914, un mot crayonné de l'écriture de son fils Lucien, disant : «Accident d'auto aux environs d'Artenay près d'Orléans, Léon blessé à la tête ; Robert à la main et à la figure, pansés et hors de tout de danger. Lucien indemne. » [PK]
  6. L'ouvrage de Léon Daudet, L'Avant-guerre. Études et documents sur l'espionnage juif-allemand en France depuis l'affaire Dreyfus, Paris, Nouvelle Librairie Nationale, 1913, rassemble une série d'articles parus pendant dix-huit mois dans L'Action française. [PK, FL]
  7. Isaac Newton (1642-1787), physicien, mathématicien, astronome et philosophe anglais, célèbre pour avoir découvert les lois de la gravitation universelle et de la décomposition de la lumière. L'hésitation de Proust peut se comprendre, car le savant et philosophe allemand Leibniz avait fait cette découverte avant lui, mais c'est Newton qui en fut crédité. [PK, FL]
  8. Allusion à un article paru en première page dans Le Figaro du 28 septembre 1914, sous le titre « Leur langue », où Péladan écrivait : «[…] plus d'allemand sur les lèvres, sur la scène, plus de langue allemande en terre de France. Est-ce qu'on peut encore avoir un ami allemand ? […] Plus d'allemand dans les programmes universitaires. […] N'est-t-il pas démontré que nous ne pouvons parler avec eux que par le fer, n'est-il pas entendu que nous ne pouvons plus commercer ? À quoi donc servirait l'étude de l'allemand ? […] » [PK]
  9. Le général Joffre, commandant en chef des armées du 2 août 1914 au 26 décembre 1916, avait acquis une grande popularité en tant que « vainqueur de la Marne » (5-13 septembre 1914). [PK, FL]
  10. C'est essentiellement pour avoir opéré les blessés sous le feu de l'ennemi que Robert Proust obtint la citation à l'ordre de l'armée dont parle Proust, en date du 30 septembre 1914. Il fut également promu capitaine, vers la même date. (Voir CP 02826 et 02827; Kolb, XIII, nº 175 et nº 176). [PK, FL]
  11. Proust a été rayé des cadres des officiers de réserve de l'armée territoriale, sur sa demande, par décision présidentielle, le 30 août 1911 (voir le courrier du Médecin-Inspecteur du Ministère de la Guerre, en date du 6 septembre 1911 : Kolb, X, n° 168) et sa radiation lui a été notifiée le 11 septembre 1911 (voir Kolb, X, n° 169). [NM]
  12. Nom supprimé et remplacé par « N... » par Lucien Daudet dans la première édition, suggéré par Philip Kolb. Nous le restituons d'après la notice du catalogue de vente Christie's. [CSz]
  13. Selon l'état récapitulatif des services effectués au sein de l'armée par Clément de Maugny, conservé dans son Dossier de Légion d'Honneur, il était parti sur le front le 17 novembre 1914. Il a pu faire une visite chez Proust dans les jours précédents. [FL]
  14. Le « dernier livre » publié de Lucien Daudet était L'Impératrice Eugénie, Paris, Fayard, 1911. [PK]
  15. Il pourrait s'agir d'un ouvrage publié en février 1914 par le père de Clément de Maugny, le comte Charles-Albert de Maugny (1839-1918) : Cinquante ans de souvenirs, 1859-1909, Paris, Plon, 1914. Ancien officier, membre du Jockey-Club, chroniqueur politique, il avait écrit dans les principaux journaux parisiens (Le Gaulois, Le Figaro, Paris-Journal, La Patrie, Le Soir) et avait été le directeur politique de L'Illustration, La Vie parisienne, et du Journal. Ses souvenirs de la vie parisienne mettaient nécessairement en scène des personnes que Proust et Clément de Maugny connaissaient. [FL]
  16. Nom supprimé et remplacé par « N... » par Lucien Daudet dans la première édition. N'ayant pas accès à l'original, il nous est difficile de restituer le nom, qui peut être « Maugny » mais aussi « Clément », pour le différencier de son père, le comte de Maugny, si ce dernier est bien l'auteur désigné dans la phrase précédente. [CSz, FL]
  17. Il pourrait s'agir de l'ouvrage de Clément de Maugny consacré à son grand-père : Le Général comte de Maugny, le dernier gouverneur militaire de la Savoie (1798-1859), Chambéry, librairie Perrin-Dardel, 1921. Il est possible qu'il ait rédigé une grande partie de cet ouvrage avant la Guerre mais que, interrompu par son engagement militaire pendant toute la durée des hostilités, il n'ait pu le terminer et le publier qu'ensuite. [FL]
  18. Nom supprimé et remplacé par « N... » par Lucien Daudet dans la première édition. Nous le restituons d'après la notice du catalogue Christie's. [CSz]
  19. La première édition donnait : « Quelle simplicité pour un noble ! » pour contribuer à masquer l'identité de Maugny. Nous restituons le texte à partir de la notice du catalogue Christie's. Clément de Maugny porta le titre de vicomte jusqu'au décès de son père, le comte Albert de Maugny, en 1918. [CSz]
  20. Nom supprimé par Lucien Daudet dans la première édition. Daudet indique en note que « ce M. Z..., obscur écrivain, est d'ailleurs mort tout de suite après la guerre et n'a pas profité de l'engoûment local dont parle Marcel Proust. » Nous ignorons l'identité de cet écrivain. Nous suivons pour ce paragraphe la version de Lucien Daudet, qui remplace les noms propres par des initiales, des astérisques. Les noms de personnages de Molière (Célimène, Alceste, Oronte) ont été substitués par Lucien Daudet aux prénoms réels, ainsi qu'il le précise en note. – Kolb a remplacé toutes ces substitutions par de multiples « […] » qui obscurcissent encore la lecture du texte. [PK, CSz]
  21. Après une sobre annonce dans Le Gaulois du 12 novembre 1914 : « Tués et blessés à l'ennemi », sa mort donne lieu à des nécrologies exaltées les jours suivants : voir Le Journal du 13 novembre 1914 :« Un petit-fils de Renan tué à l'ennemi » ; L'Intransigeant du 13 novembre 1914 : « La mort d'Ernest Psichari ». Il était l'auteur de L'Appel des armes (1913). [PK]
  22. Daniel Halévy, « Les Trois Croix », Journal des Débats, 17 novembre 1914. Halévy l'avait traduit et transposé d'un journal anglais. Le même acte d'héroïsme militaire fut relaté brièvement le 15 novembre dans Le Journal et dans L'Intransigeant. Dans une lettre à D. Halévy écrite aussitôt après avoir lu cet article (CP 02843, Kolb, XIII, nº 192), Proust affirme avoir pleuré à cet émouvant récit. [PK, CSz]
  23. Allusion à un article paru en première page dans Le Figaro du 12 novembre 1914, sous le titre « Vers l'Alsace », par le général Zurlinden. Ce dernier affirmait : « On a déjà donné bien des explications sur l'origine de ce surnom de "Boches", donné aux Allemands, à la suite de notre première incursion de la guerre actuelle dans la Haute-Alsace, à Altkirch et à Mulhouse. Il est probable qu'à leur rentrée en France, nos troupiers, se souvenant mal de l'appellation de "Schwob" qu'ils ont dû entendre répéter à satiété en Alsace, ont retouné le mot, et supprimant le double "v", en ont fait "Boche" […]. » Le général Zurlinden avait été plusieurs fois ministre de la Guerre, et gouverneur militaire de Paris. [PK]
  24. Le Temps du 27 octobre 1914 citait en première page, sous le titre « L'aviateur Paulhan et son mécanicien », de longs extraits d'une lettre publiée le jour précédent par Le Petit Provençal où le jeune mécanicien racontait avec verve dans un langage populaire les péripéties d'un voyage au-dessus des lignes ennemies. [PK]
  25. Depuis le mois d'octobre 1914, Maurice Donnay, Alfred Capus et Gabriel Hanotaux se partageaient la « Une » du Figaro, avec des éditoriaux enflammés, patriotiques et haineux. — L'article de Donnay du 3 octobre, intitulé « Les Boches » commence ainsi : « Le nom est adopté ; il dit si bien ce qu'il veut dire : stupidité et brutalité, têtes carrées et pieds plats, la horde ! » ; dans « Contre la grâce », le 18 octobre, il affirme : « Le Boche est prolifique [etc.] » ; voir aussi « On aura des notes », le 8 novembre. Sous la plume de Capus et Hanotaux, en revanche, nous ne trouvons pas le mot « Boche » mais une haine de l'Allemand « barbare »: Capus parle du « passage de leur horde » (« La fausse victoire », le 11 octobre), de « leur audace et leur barbarie » (« La Femme de Paris », le 13 octobre), de leur « bestialité [qui] les avilit » (« Roi et Kaiser », le 29 octobre) ; Hanotaux, de leur « rauque gosier » (« À Calais, à tout prix ! », le 31 octobre). [FL]
  26. Cet « etc. » de Proust fait allusion à tous les intellectuels qui alimentent la propagande xénophobe des journaux à grand renfort de stéréotypes simplistes. [FL]
  27. Lucien Daudet a procédé ici, pour ce qui correspond aux pages « 18 » et « 19 » rédigées par Proust, à des coupures qu'on peut estimer à l'équivalent d'une page entière du texte de la lettre. On notera aussi l'hiatus avec la suite. [NM]
  28. Lucien Daudet, réformé, fut envoyé à la Croix-Rouge de Tours au début de la guerre. Dans une lettre inédite à Albert Flament datée du 29 novembre 1914, Lucien Daudet écrit : « À partir de jeudi, je serai Hôtel Brunswick, 66 Boulevard Béranger », donc à partir du jeudi 6 décembre 1914 (Centre André Gide - Jean Schlumberger, Fondation des Treilles). Proust a dû recevoir la même information, ce qui plaiderait en faveur d'une datation de cette lettre vers la fin du mois de novembre. [PK, CSz, FL]
  29. Le boulevard Béranger de Tours est, comme beaucoup d'autres rues portant son nom, un hommage au poète et chansonnier Pierre-Jean de Béranger et la marque de sa très grande notoriété tout au long du XIXe siècle. Par ses pamphlets et chansons patriotiques et révolutionnaires, de 1815 à 1848, il a incarné longtemps la voix du peuple, l'« homme-nation ». (Voir Jean Touchard, La Gloire de Béranger, Paris, Armand Colin, 1968.) [FL]
  30. Odile Chauvelot, la nièce de Lucien Daudet, était née le 9 octobre 1914. [PK]
  31. « Jumilhac » est un des noms des Richelieu. En 1914, le tenant du titre était Armand de Chapelle de Jumilhac, duc de Richelieu, né en 1875. Sa sœur, Marie-Augustine-Septimanie-Odile de Chapelle de Jumilhac de Richelieu, née en 1879, avait épousé en février 1905 un ami de Proust : Gabriel de La Rochefoucauld. [FL]
  32. Il doit s'agir de Lucien Corpechot (1871-1944) — pseudonyme : Curtius —, collaborateur de divers journaux (Le Temps, L'Écho de Paris, Le Figaro, Excelsior, Le Gaulois) et directeur de la partie littéraire du Gaulois. C'était un disciple (et familier) de Barrès, très lié aussi avec Anna de Noailles. [FL]
  33. Proust fait probablement allusion ici aux écrits de Maurice Barrès sur la Lorraine et l'Alsace, et plus particulièrement au roman intitulé Les Bastions de l'Est. Au service de l'Allemagne (Paris, Fayard, 1905, réédité plusieurs fois), où les trois chapitres centraux (chapitres V, VI, VII) et la conclusion exaltent le mont Sainte-Odile, son monastère et son histoire, sainte Odile étant la patronne de l'Alsace. Dans une lettre de félicitations à Barrès pour son élection à l'Académie française en février 1906, Proust le commentait en termes élogieux (« un de vos plus beaux livres »), et ajoutait : « Si ma santé me le permettait que je voudrais faire un pèlerinage à Sainte Odile […]. » (CP 01361 ; Kolb, VI, n° 12). [CSz]
  34. L'utilisation du masculin « gentil » indique que le commentaire porte sur le prénom plutôt que sur la personne. Proust répond peut-être ici à des sarcasmes de Lucien Daudet sur le prénom choisi pour sa jeune nièce. Dans une lettre inédite à Albert Flament datée du 19 octobre 1914, Daudet écrit en effet : « Ce nom d’Odile est burlesque ! » (Centre André Gide - Jean Schlumberger, Fondation des Treilles). Dans son édition de 1929, Daudet transforme le post-scriptum de Proust en un simple « Odile est bien gentille », vraisemblablement pour éviter de heurter les membres de sa famille. [CSz]
  35. (Notes de traduction)
  36. (Contributeurs)