CP 02830: Difference between revisions

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Marcel Proust à Reynaldo Hahn [peu après le 24 octobre 1914]

(Cliquez le lien ci-dessus pour consulter cette lettre et ses notes dans l’édition numérique Corr-Proust, avec tous les hyperliens pertinents.)

[1]

Cher Reynaldo

Je vous remercie de tout coeur de votre lettre[2], impérissable monument de bonté et d'amitié. Mais Bize se trompe entièrement s'il croit qu'un certificat[3] me dispense de quoi que ce soit. Peut-être un certificat de Pozzi, lieutenant-colonel au Val-de-Grâce, l'eût pu (et je ne crois pas). Mais avec des manières charmantes et des procédés parfaits il l'a éludé et refusé[4]. Je vous tiendrai au courant de mes mésaventures militaires quand elles se produiront. Mon cher petit vous êtes bien gentil d'avoir pensé que Cabourg[5] avait dû m'être pénible à cause d'Agostinelli. Je dois avouer à ma honte qu'il ne l'a pas été autant que j'aurais cru et que ce voyage a plutôt marqué une première étape de détachement de mon chagrin, étape après laquelle heureusement j'ai rétrogradé[,] une fois revenu[,] vers les souffrances premières. Mais enfin à Cabourg sans cesser d'être aussi triste ni d'autant le regretter, il y a eu des moments, peut-être des heures, où il avait disparu de ma pensée. Mon cher petit ne me jugez pas trop mal par là (si mal que je me juge moi-même !). Et n'en augurez pas un manque de fidélité dans mes affections, comme moi j'ai eu le tort de l'augurer pour vous quand je vous voyais regretter peu des gens du monde que je croyais que vous aimiez beaucoup. Je vous ai supposé alors moins de tendresse que je n'avais cru. Et j'ai compris ensuite que c'était parce qu'il s'agissait de gens que vous n'aimiez pas vraiment. J'aimais vraiment Alfred. Ce n'est pas assez de dire que je l'aimais, je l'adorais. Et je ne sais pourquoi j'écris cela au passé car je l'aime toujours. Mais malgré tout, dans les regrets, il y a une part d'involontaire et une part de devoir qui fixe l'involontaire et en assure la durée. Or ce devoir n'existe pas envers Alfred qui avait très mal agi avec moi, je lui donne les regrets que je ne peux faire autrement que de lui donner, je ne me sens pas tenu envers lui à un devoir comme celui qui me lie à vous, qui me lierait à vous, même si je vous devais mille fois moins, si je vous aimais mille fois moins. Si donc j'ai eu à Cabourg quelques semaines de relative inconstance, ne me jugez pas inconstant et n'en accusez que celui qui ne pouvait mériter de fidélité. D'ailleurs j'ai eu une grande joie à voir que mes souffrances étaient revenues ; mais par moments elles sont assez vives pour que je regrette un peu l'apaisement d'il y a un mois. Mais j'ai aussi la tristesse de sentir que même vives elles sont pourtant peut-être moins obsédantes qu'il y a un mois et demi ou deux mois. Ce n'est pas parce que les autres sont morts que le chagrin diminue, mais parce qu'on meurt soi-même. Et il faut une bien grande vitalité pour maintenir et faire vivre intact le « moi » d'il y a quelques semaines. Son ami ne l'a pas oublié, le pauvre Alfred. Mais il l'a rejoint dans la mort et son héritier, le « moi » d'aujourd'hui[,] aime Alfred mais ne l'a connu que par les récits de l'autre. C'est une tendresse de seconde main[6]. (Prière de ne parler de tout cela à personne ; si le caractère général de ces vérités vous donnait la tentation d'en lire quelques extraits à Gregh ou à d'autres, vous me feriez beaucoup de peine. Si jamais je veux formuler de telles choses ce sera sous le pseudonyme de Swann. D'ailleurs je n'ai plus à les formuler. Il y a longtemps que la vie ne m'offre plus que des événements que j'ai déjà décrits. Quand vous lirez mon troisième volume[7] celui qui s'appelle en partie « A l'ombre des jeunes filles en fleurs », vous reconnaîtrez l'anticipation et la sûre prophétie de ce que j'ai éprouvé depuis.)

J'espère que ce que je vous ai écrit[8] vous a déjà convaincu et que vous restez à Albi. D'ailleurs j'espère que votre cher Commandant, si vos velléités absurdes persistaient, saurait « commander » et vous[,] « obéir ». Je ne veux pas avoir l'air d'éluder vos questions sur moi-même. Car je sais que vous ne me le demandez pas par politesse ; non je ne me « nourris » pas en ce moment. Mais la fréquence des crises l'empêche. Vous savez que dès qu'elles diminuent, je sais remonter la pente, vous vous rappelez l'année dernière et ma victoire de la Marne[9]. Je regrette un peu ce que je vous ai écrit de Pozzi. Je crois qu'il n'est pas très bien avec Février le directeur du Service de Santé et le côté Gallieni. Du reste tout cela sera sans doute inutile car je ne serai peut-être pas appelé. En tout cas je me suis fait inscrire. Ce qui en dispense c'est une infirmité visible, comme un pouce manquant etc. Des maladies comme l'asthme ne sont pas prévues. Il est vrai que pour mon livre on m'a interv[iewé] dans mon lit[10] ; mais pensez-vous que le Gouvernement Militaire de Paris en sache quelque chose ! Bize a fait erreur s'il croit que c'est une dispense légale.

Mille tendresses de votre

Marcel

Je reçois à l'instant le certificat[11] de Bize, je vais lui écrire pour lui demander de le faire autrement[12], sur papier à 0,60, car ce certificat sans valeur de dispense, peut néanmoins le moment venu m'être utile. Mais rien ne presse, je ne serai pas appelé au plus tôt avant un mois ou deux. En tout cas je vais lui écrire.

P.S. Que ma lettre je vous en prie n'aille pas vous donner l'idée que j'ai oublié Alfred. Malgré la distance que je sens hélas par moments, je n'hésiterais pas même dans ces moments-là à courir me faire couper un bras ou une jambe si cela pouvait le ressusciter.

3e P.S. Surtout cher petit ne faites quoi que ce soit pour ma question de contre-réforme. Ce que vous avez fait était divinement gentil et a été parfait. Mais faire autre chose ne pourrait que m'attirer des ennuis. Je crois que tout se passera très bien. Et d'ailleurs ce ne sera pas avant quelque temps. Que pense le Commandant C. de la guerre ? comme durée, comme issue, comme présent, comme passé, comme avenir.

[13] [14]

Notes

  1. Dans un télégramme du 24 octobre 1914 (CP 02829 ; Kolb, XIII, n° 178), Proust remercie Hahn d'avoir solicité et obtenu pour lui un certificat médical du docteur Bize (CP 05638), et lui demande de répondre par lettre. La présente lettre répond à la lettre de Hahn. [PK, FP]
  2. Lettre non retrouvée. [PK, FP]
  3. Au moment où il commence cette lettre, Proust n'a pas encore reçu le premier certificat du docteur Bize, mais Hahn lui a annoncé l'avoir obtenu, d'abord par télégramme (le 23 au soir ? ou le 24 au matin), puis par lettre. Proust recevra le certificat avant l'envoi de sa lettre ; il ajoutera alors un post-scriptum. [FL, FP]
  4. Voir la lettre de Proust au docteur Pozzi [entre le 6 et le 12 novembre 1914](CP 05412): « Comme vous avez préféré ne pas me donner de certificat... ». Pozzi finira par rédiger un certificat (non retrouvé) ; Proust l'en remercie dans sa lettre du Jeudi [12 ? novembre 1914] (CP 05413). [FP, FL]
  5. Proust est rentré de Cabourg le 13 ou 14 octobre 1914 ; il raconte cet éprouvant trajet dans la lettre à Madame Catusse du [17 octobre 1914] (CP 02827 ; Kolb, XIII, n° 176). [FP]
  6. Ce passage est un de ceux qui attestent la transposition romanesque d’Alfred Agostinelli en Albertine (voir Albertine disparue, IV, p. 175 ; La Fugitive, Cahiers d’Albertine disparue, éd. de N. Mauriac Dyer, Le Livre de poche « classique », 1993, p. 189 et note 1). La présente lettre a pu servir de brouillon à un verso du Cahier « Vénusté », rédigé pour l’essentiel après la disparition accidentelle d’Agostinelli au printemps de 1914. Le passage y est coché au crayon bleu, ce qui indique l’importance que Proust lui attachait : « Capital (peut’être tout à la fin du livre peut’être à la mort d’Albertine quand je commence à oublier) / Ce n’est pas parce que les autres sont morts que le chagrin diminue, mais parcequ’on meurt soi-même. Albertine ne pourrait rien reprocher à son ami. Son ami ne l’a pas oublié [sic], mais il l’a rejoint [sic] dans la mort, laissant pour héritier l’homme que je suis aujourd’hui qui aime certes Albertine, mais ne l’a pas connue. Certes il a entendu bien des fois parler d’elle dans les récits de l’autre quand il grandissait à l’ombre du moribond à qui il devait survivre, il l’a bien des fois entendu parler d’elle ; il croyait la connaître, il l’aimait à travers les récits de celui-là : ce n’était qu’une tendresse de seconde main. » (Cahier 54, f. 13v, transcription simplifiée). Voir Cahier 54, éd. F. Goujon, N. Mauriac Dyer et Ch. Nakano, Brepols, 2008, vol. II, f. 13v et note 1. Proust reprendra le passage d’après la version (ultérieure) du Cahier 56 dans sa lettre-dédicace à Mme Scheikévitch (CP 03024 ; Kolb, XIV, n° 136). [NM]
  7. En octobre 1914, « mon troisième volume » désigne Le Temps retrouvé, le dernier des trois tomes prévus depuis l'été de 1913. « À l'ombre des jeunes filles en fleurs » n'est alors que le titre de la première des neuf parties qui composent ce dernier tome. Voir l'annonce publiée en 1913 en tête de Du côté de chez Swann. [FL, FP, NM]
  8. La lettre où Proust tente de convaincre Hahn de rester à Albi n'a pas été retrouvée. [FP]
  9. Allusion probable au rétablissement de santé de Proust lors des derniers mois de 1913. [PK, FP]
  10. Allusion aux deux interviews accordées par Proust lors de la parution de Du côté de chez Swann en 1913. [PK, FP]
  11. Le premier certificat signé par le docteur Bize, le 23 octobre 1914 : voir CP 05638. [FP]
  12. Lettre non retrouvée. Le docteur Bize signera un deuxième certificat le 4 novembre 1914 : voir CP 05639. [FP]
  13. (Notes de traduction)
  14. (Contributeurs)