CP 02890/fr

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Marcel Proust à Louis de Robert le 3 janvier [1915]

(Cliquez le lien ci-dessus pour consulter cette lettre et ses notes dans l’édition numérique Corr-Proust, avec tous les hyperliens pertinents.)

3 janvier[1]

102 boulevard Haussmann

Cher ami

Dans cette terrible angoisse de la Guerre, et dans l'angoisse qui a été mon « Avant-Guerre »[2] (car tout l'été dernier a été pour moi le plus cruel de ma vie[3]), je n'ai cessé de penser à vous — comme au grand ami de mon intelligence — au milieu de malheurs où je n'avais plus mon intelligence.

Et puis la guerre a éclaté ! Mon frère parti le premier jour pour Verdun[4] comme major, puis sur la ligne de feu n'a cessé de courir les plus grands dangers[5]. Tous mes plus chers amis sont sur le front. C'est une tranquillité du moins pour moi de savoir que vous ne pouvez « partir ». Moi-même je n'ai pas encore passé mon conseil de contre-réforme. J'espère que votre santé ne subit pas trop cruellement le contre-coup de ces anxiétés, et aussi que vous n'avez pas eu d'amis trop éprouvés. Hélas j'ai déjà des amis[6], des parents[7] même, tués.

Je ne sais pas si vous êtes de mon avis, je trouve la presse bien inférieure aux grandes choses dont elle parle. Je lui trouve un ton déplorable et qui risque de diminuer la portée de la Victoire, de la Victoire hélas encore si lointaine. Puisse-t-elle venir en 1915 et sans que de vos amis les plus chers soient tombés. Cher ami que 1915 vous apporte aussi un affermissement de votre santé et l'inspiration de belles œuvres.

De tout mon cœur, votre

Marcel Proust

[8] [9]

Notes

  1. Les voeux que Proust offre à son correspondant pour l'année 1915 à la fin de sa lettre permettent de la dater du 3 janvier 1915. [PK]
  2. Allusion au titre d'un ouvrage de Léon Daudet (L'Avant-Guerre. Études et documents sur l'espionnage juif-allemand en France depuis l'affaire Dreyfus, Paris, Nouvelle édition nationale, 1913). C'est Daudet qui a créé ce concept d'« avant-guerre », et son livre qui l'a popularisé. Dans une lettre à Lucien Daudet écrite vers [le lundi soir 16 novembre 1914, ou peu après] (CP 02844), Proust exprime son admiration pour cet ouvrage prophétique et la force d'imagination de Léon Daudet qui lui permet de découvrir les « lois sociales ». [PK, FL]
  3. Allusion au deuil consécutif à la mort accidentelle d'Alfred Agostinelli, survenue le 30 mai 1914. [FL]
  4. Voir la lettre écrite par Proust à Hauser [dans la nuit du 2 au 3 août 1914] (CP 02812), où il mentionne qu'il vient de conduire à la gare son frère qui partait le soir même pour Verdun. [FL]
  5. Après avoir exercé, jusqu'en novembre 1914, dans un hôpital militaire à Étain (secteur de Verdun), opérant les blessés même sous le feu de l'ennemi, Robert Proust était détaché comme chirurgien dans une ambulance, où il soignait et opérait les grands blessés à proximité des tranchées. (Voir ses affectations et ses citations sur sa fiche militaire.) [FL]
  6. Notamment Adolphe, Edme, Jean Bénac (1er août 1891 - 15 décembre 1914), fils de M. et Mme André Bénac, amis de longue date de la famille Proust ; sergent au 46e régiment d'infanterie, atteint par un obus, il est décédé de ses blessures à l'hôpital de Thann, en Alsace (Haut-Rhin) : voir son certificat de décès. Le Figaro l'annonce le 20 décembre 1914, rubrique « Le Monde et la Ville », et en rend compte le 24, rubrique « Le Monde et la Ville ».
  7. L'un de ces parents est Adolphe, Louis, Jean Cruppi (17 novembre 1891 - 4 novembre 1914), fils de Jean Cruppi et de son épouse née Louise Crémieux ; maréchal des logis au 27e régiment de dragons, il fut tué à l'ennemi lors des combats autour de Messines, en Belgique : voir son certificat de décès. Un autre de ces parents pourrait être Victor, Maurice Ramillon (26 juin 1880 - 25 août 1914), lieutenant au 67e régiment d'infanterie, mort à l'hôpital temporaire n° 1 de Verdun de ses blessures de guerre : voir son certificat de décès. Il avait épousé en 1911 une cousine de Proust, Jeanne Bœuf (1877-1950), fille de Mme Francis Bœuf née Jenny Weil (1846-1922), fille aînée de Mme Baruch Weil née Amélie Berncastel (1821-1911), grand-tante de Proust. [PK, Dr Jacques Bréhant, FL]
  8. (Notes de traduction)
  9. (Contributeurs)